Se jouant des étiquettes et des frontières, Tristan Malavoy touche à plusieurs genres. Il a notamment fait paraître les romans Le Nid de pierres (Boréal, 2015) et L’œil de Jupiter (Boréal, 2020), le livre-disque L’école des vertiges (Audiogram/L’Hexagone, 2018) et le recueil de chroniques Feux de position (Somme toute, 2017). Il a par ailleurs tenu pendant cinq ans la chronique livres et arts visuels à l’émission Voir, diffusée sur les ondes de Télé-Québec, et dirige aux Éditions XYZ la collection « Quai nº 5 », consacrée aux romans, aux nouvelles et aux romans graphiques.
Ça fait trois ans que tu as les yeux
rivés à ce hublot
les iris à demi brûlés
au soleil des appareillages
tu sais des musiques descendues de très haut
des archipels et des Circé
tu ne te déplaces plus
qu’assis là
agrippé aux bras du fauteuil défoncé
comme à un mât battant la mesure
et le vide de l’appartement
derrière toi
sous la moquette rase
il y a un champ interminable
semé de pierres et d’évitements
de cornes de brumes jetées là
et d’appels jamais retournés
il y a les victimes de guerres
qui ne te concernent plus
et peut-être un enfant
l’histoire ne le dit pas
le temps reprend beaucoup de choses
quand les armes se taisent
tombent dans un bruit feutré
et que la crasse fait son nid
dans le Judas
toute ta ruse passe à maintenir ce bateau
qui n’en est pas un
sur cette eau
qui n’en est pas une
à rester au loin
où les embruns chantent
jouent à la réalité
à rosir des horizons
au bord de ton bol
de chips
ce talent que tu mets à t’en aller
maintenant
à ne rien tenter
quand un œil se tend vers toi
et te renvoie les traits
du paysage triste
de ton visage
tout ce que tu mets en place
pour isoler son île
de la rue Clark
tu as déjà eu un cap
avant les philtres
le choix des pays-vidéos
tu les as guettés les vents
tu as tracé des cartes
entre ta porte et la sienne
mais les ans morcellent les rivages
et font du corridor une frontière
naturelle
hantée de défaites
océanes
tu es celui qui jette l’ancre
avant les grands courants
on n’a pas à revenir
d’où on ne va qu’avec un équipage
fantôme
de toute façon tu sais que la mort vient
et que chacun la racontera
comme il le veut.
Pour citer cette page
Tristan Malavoy, « Un équipage fantôme », MuseMedusa, no 9, 2021, <> (Page consultée le setlocale (LC_TIME, "fr_CA.UTF-8"); print strftime ( "%d %B %Y"); ?>).
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