ASIAT

Clara Marciano

Clara Marciano est une artiste française.
Elle réalise des dessins de grands formats dans lesquels elle questionne les rapports de domination qui régissent les échanges humains, et met en lumière le saccage de la planète par un système techno-industriel devenu fou. Elle a participé à des expositions collectives en France et en Belgique dont Bye bye Future au Musée royal de Mariemont et Lisières à l’Art et marges musée. En 2019, elle a obtenu la bourse « Vocatio » et après deux résidences artistiques à Bruxelles (Fondation Moonens et Fondation privée Carrefour des Arts), elle fait cette année partie des treize artistes-résidents de la Casa de Vélazquez (Académie de France à Madrid).


« Nous ne reconnaîtrons plus notre monde. »

J’avais lâché ça comme ça, sur le pont Jan Frans Willem, au-dessus du canal. Sur le site ASIAT, nous parlions avec Alice de l’installation magistrale que nous venions de voir dans une tour de refroidissement. Ça m’était sorti comme ça, comme une évidence, en regardant les algues monstrueuses qui avaient envahi le canal et qui ondulaient très lentement au gré des courants ; elles nous donnaient l’impression d’être suspendues au-dessus d’une forêt qui aurait poussé sur une autre planète, un endroit où les règles de la nature auraient été tout à fait différentes et où l’air aurait été aussi liquide et épais que cette eau que nous contemplions en appui, sur la rambarde du pont. « Tu penses qu’il peut y avoir des poissons là-dedans ? », m’a demandé Alice. « J’crois pas, non, les algues ont dû bouffer tout l’oxygène », lui ai-je répondu, encore absorbée par la sentence que je venais de prononcer un peu plus tôt. Nous avions tout exploré, tout découvert, et dans notre superbe mépris vis-à-vis de cette beauté que nous nous empressions de diviser en parcelles et de cataloguer, à la recherche de profit, nous avions tout pillé. Nous en étions arrivés à un tel stade de dégradation de notre monde que nos conditions d’existence elles-mêmes étaient en train de basculer vers un état que personne n’était en mesure de définir. Je me demandais quelles sortes de périls pouvaient bien nous attendre, et puis je me suis dit : « mais quel gâchis…, oui , mais quelle aventure ! » J’ai essayé de conjurer mon angoisse en me disant que quoi qu’il arrive, le voyage en vaudrait la peine et que même si des choses terribles allaient nous arriver, nous avions la « chance » d’assister au grand dérèglement.

L’exploration spatiale n’était pas encore sérieusement envisageable pour nos technologies. Mais ces dernières s’étaient montrées suffisamment puissantes pour modifier la terre de façon radicale et la rendre, en peu de temps, absolument méconnaissable.









Clara Marciano, Datcha, dessin au crayon gris (détails), 5000 x 1050 cm, 2020.
Détails du frontispice du dossier.
© Clara Marciano, 2020.


Pour citer cette page

Clara Marciano, « ASIAT », MuseMedusa, no 9, 2021, <> (Page consultée le ).