Clara Marciano est une artiste française établie à Bruxelles. Elle réalise des dessins de grands formats dans lesquels elle questionne les rapports de domination qui régissent les échanges humains, et met en lumière le saccage de la planète par un système techno-industriel devenu fou. Elle a participé à des expositions collectives en France et en Belgique, dont Bye bye Future au Musée Royal de Mariemont et Lisières au Art et marges musée. Elle a obtenu la bourse « Vocatio » 2019 et après deux résidences artistiques à Bruxelles (Fondation Moonens et Fondation privée Carrefour des Arts), elle fait partie cette année des treize artistes-résidents de la Casa de Vélazquez (Académie de France à Madrid).
Le Triptyque des anciens continents est une apocalypse anticipée à partir de notre monde qui, comme chacun le sait, s’avère directement menacé par le changement climatique dû aux activités humaines et par la chute accélérée de la biodiversité qui en découle. L’œuvre reprend la composition symbolique propre aux triptyques des maîtres de la Renaissance tout en remplaçant le caractère religieux des symboles par des éléments du monde actuel. En effet, Dieu n’a rien à voir avec le désordre, les multiples causes de l’effondrement représenté dans cette œuvre étant d’ordre purement mécanique. Qu’on se le dise bien, la planète est indifférente à notre sort et elle se débarrassera du mal qui la tourmente de la même façon qu’un organisme lutte contre un virus, par des sueurs froides, des poussées de fièvre et bien d’autres réactions de rejet…
Ce n’est donc pas une figure aux traits sévères, assise sur un trône d’or, tenant dans une main le glaive et dans l’autre la balance qui nous punira. Le verdict implacable ne viendra pas non plus d’un seigneur tout puissant, et le drap blanc que tendent les personnages au milieu du panneau central n’est pas fait pour accueillir le fils de Dieu mort pour nos péchés.
D’ailleurs il n’y a rien dans ce drap, il n’y a que du vide. Le mal est invisible et s’insinue dans chaque objet ; le moindre détail cache une minuscule tache de corruption qui menace de s’étendre aux membres, aux parties qui l’ont effleuré.
Dans son fantasme de toute-puissance, l’homme a oublié qu’il n’était qu’une pièce parmi d’autres dans l’équilibre fragile qui maintenait son environnement stable et favorable à son bien-être. Le voilà qui s’étonne à présent devant les conséquences engendrées par ses actes, comme s’il ne savait pas que les industries étaient polluantes, que ses échanges étaient inégaux, que sa révolution verte était basée sur des stocks de produits chimiques accumulés pendant la Deuxième Guerre mondiale, sans parler d’autres dénigrements éhontés qui ont de quoi remettre en question l’intelligence exceptionnelle dont nous serions supposément dotés.
Malheureusement, une petite partie de l’humanité s’est octroyé le droit de piétiner allègrement la miraculeuse harmonie du monde au détriment, toujours, des populations les plus démunies ; cette même humanité s’est aussi mal comportée qu’un enfant de six ans capricieux et ingrat envers l’incroyable profusion, l’opulence de biens naturellement présents autour de lui. Dans la déflagration chaotique représentée par le triptyque, la « punition » se traduit de différentes façons et revêt toutes sortes d’apparences à chaque volet : sur le premier panneau, des cataclysmes s’abattent sur une ville mise sous cloche, où les individus se soumettent de plein gré au dictat d’une société ultra conditionnée et paramétrée jusque dans les moindres détails. Le panneau central montre l’irruption d’une étrange maladie, symbolisée par une anguille ; il montre pêle-mêle également la pollution, l’aveuglement face à l’inéluctable, et la perte irréversible de savoirs anciens. Le dernier panneau expose la destruction par le feu.
Pour citer cette page
Clara Marciano, « Le Triptyque des anciens continents », MuseMedusa, no 8, 2020, <> (Page consultée le setlocale (LC_TIME, "fr_CA.UTF-8"); print strftime ( "%d %B %Y"); ?>).
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Némésis dans tous ses états