Charles Plet
Université Paris III-Sorbonne Nouvelle et Université de Montréal
Charles Plet est doctorant en cotutelle à l’Université de Montréal et l’Université Paris 3 Sorbonne-Nouvelle sous la direction d’Andrea Oberhuber et de Henri Scepi. Après s’être intéressé à la souffrance féminine chez quatre écrivains catholiques, il étudie, dans une perspective d’histoire littéraire et culturelle, la figure de la « jeune fille » dans le roman catholique de l’entre-deux siècle en France (1880-1930). Il est inscrit au CRP19 de l’université Paris III et est membre étudiant de Figura.
Cet article porte sur une figure littéraire en vogue au tournant des XIXe et XXe siècles, la « femme nouvelle », telle qu’elle est mise en fiction dans un corpus ordonné à la foi : le roman traditionaliste catholique. On s’intéressera plus particulièrement à l’œuvre de deux romanciers catholiques majeurs du tournant du siècle : Henry Bordeaux et René Bazin. Inquiets de la montée en puissance de l’individualisme et de la laïcité républicaine au sein de la société française, qui risquent d’éloigner les femmes de leur devoirs sociaux (de mère-épouse et de croyante), ces romanciers réagissent en écrivant des romans à thèse empreints de valeurs catholiques autorisées : il s’agit, à travers une rhétorique de la foi et une mise en valeur(s) de la Tradition, d’inciter les liseuses à se détourner du mauvais exemple qu’incarne la « femme nouvelle », avatar moderne de l’Amazone antique. En prenant appui sur deux œuvres emblématiques de la veine traditionaliste (La Peur de vivre [1902] d’Henry Bordeaux et Davidée Birot [1912] de René Bazin), on étudiera donc les enjeux thématiques et textuels de la mise en fiction d’une figure nouvelle qui, à travers les dilemmes moraux qu’elle déclenche, constitue un agent idéal pour (re)mettre en avant le culte des valeurs traditionnelles (la famille et le mariage chrétiens).
This article shall concentrate on a character in vogue at the turn of the 20th century, the “New Woman”, as it is fictionalized in the works of two French novelists who wrote in support of traditional Catholicism: Henry Bordeaux and René Bazin. Afraid of the implications of the republican value of laïcité and of the growing individualism spirit of the time, which may turn women away from their traditional familial roles, these novelists react by writing romans à thèse that are heavily influenced by Christian thinking. Through the employment of specific rhetorical strategies, Henry Bordeaux and René Bazin try to keep young readers at a safe distance from real “New Women” (modern Amazons). We shall study two novels in particular: Henry Bordeaux’s La Peur de vivre (1902) and René Bazin’s Davidée Birot. We shall show that through the representation of the New Women’s moral dilemmas, the two Catholic writers are able to promote the cult of traditional values (the Christian marriage and family life).
Autour de 1900, la question des femmes, l’« une des formes les plus saisissantes de [la] grande question sociale1Jean Lagardère, « L’éducation de la femme au XXe siècle. Discours prononcé au Congrès Jeanne d’Arc à l’Institut catholique de Paris, le 26 mai 1904, par le directeur de la revue La Femme contemporaine », dans Jean Lagardère, L’éducation de la femme au XXe siècle, Besançon, Bureaux de la revue La Femme contemporaine, 1904, p. 2. Rappelons que « le pontificat de Léon XIII se caractérise par un retour à la question sociale avec la promulgation de l’encyclique Rerum Novarum. Il entraîne une réflexion sur la modernisation qui sera arrêtée net dans son élan par le retour aux valeurs traditionalistes qu’incarne [dès 1903] le pontificat de Pie X » (Alexandra Delattre, À contretemps. Le roman catholique français du second XIXe siècle : histoire et poétique, thèse de doctorat, Université de Nice Sophia-Antipolis, 2014, p. 158). », s’invite en régime fictionnel catholique, dont le secteur « moyen » (au sens de middlebrow2Comme l’explique Diana Holmes, le roman middlebrow (le roman « moyen ») désigne les « romans dits “de mœurs” ou “d’idées” destinés surtout à un lectorat bourgeois, aux récits situés dans le monde contemporain et s’adressant à des questions d’actualité, publiés normalement dans des organes et par des éditeurs respectables, et employant pour la plupart des techniques et des structures narratives bien ancrées dans la tradition du XIXe siècle et donc bien connues des lecteurs » (« Claudine et l’amour : roman d’amour “moyen” et modernité à la Belle Époque », dans Àngels Santa et M. Carme Figuerola (dir.), Les romancières sentimentales : nouvelles approches, nouvelles perspectives, Lleida, Universitat de Lleida, 2014, p. 217). Pour une vue d’ensemble du « roman moyen », voir le dossier « Middlebrow » dirigé par Diana Holmes et Matthieu Letourneux dans Belphegor, no 2, 2017.) est largement influencé par les angoisses globales du discours social confessionnel3Comme le souligne Marc Angenot, au tournant des XIXe et XXe siècles, « le catholicisme forme à lui seul un discours social autosuffisant et complet, renfermé sur sa propre logique, possédant une topologie structurée, étendue, analogue à la division du discours “laïc” : il y a une presse d’actualité, une publicistique, une littérature et des sciences catholiques » (1889. Un état du discours social, Montréal, Le Préambule, 1989, p. 921). Par ailleurs, rappelons que le tournant du siècle constitue, pour les catholiques, un « temps historique » particulier, « celui d’une citadelle assiégée » (Frédéric Gugelot, « Le temps des convertis, signe et trace de la modernité religieuse au début du XXe siècle », Archives de sciences sociales des religions, no 119, 2002, p. 47). . En un temps de bouleversement profond dans les mœurs et les mentalités, qui voit la création d’un système laïque d’enseignement secondaire pour jeunes filles et la pratique nouvelle du flirt préparer l’impulsion d’un féminin bourgeois acquis au savoir intellectuel et prêt à remettre en cause la virginité prénuptiale, la figure antique de l’Amazone, sous les traits modernisés de la « femme nouvelle4Le terme « femme nouvelle » est, à peu de nuances près, la transposition hexagonale de la « New Woman » anglo-saxonne, définie ainsi par David Pomfret : « À l’origine, le terme “New Woman” était utilisé afin de décrire et de ridiculiser les femmes éduquées, indépendantes et élégantes qui osaient perturber l’idéal bourgeois d’une féminité domestique » (« “A Muse for the Masses” : Gender, Age, and Nation in France, Fin de Siècle », American Historical Review, no 109, 2004, p. 1450 ; nous traduisons). Dans les premières décennies du XXe siècle, la « femme nouvelle » est déclinée par le roman en diverses sous-espèces telles la femme savante (la « cerveline » mise en fiction par Colette Yver en 1903), l’étudiante (La Bachelière de Gabrielle Réval, 1910), la sportive (voir les œuvres de Marthe Bertheaume), l’institutrice laïque (La Maternelle de Léon Frapié, 1905), la femme vivant en union libre (La Garçonne de Victor Margueritte, 1922) ou encore la jeune fille refusant le mariage et/ou la maternité (Madame ne veut pas d’enfants de Clément Vautel, 1924), pour ne citer que les avatars sociétaux les plus travaillés par les auteur.es. », est investie négativement par l’ensemble du système discursif catholique : l’indépendance qu’elle valorise est en effet depuis longtemps dénoncée comme un mauvais exemple par les esprits chrétiens, comme en témoigne Antoine Dufour dès le début du XVIe siècle5Voir Antoine Dufour, Les vies des femmes célèbres, Genève/Paris, Droz/Minard, 1970 [1504]. Notons que si le roman moyen catholique tournant-de-siècle préfère mettre en fiction la figure de l’Amazone non pas directement (sous ses traits antiques), mais plutôt de manière indirecte (sous ses habits contemporains de « femme nouvelle »), c’est parce que 1o ses « récits [sont] situés dans le monde contemporain et s’adress[e]nt à des questions d’actualité » (il faut donc reprendre les termes mêmes qui traversent le discours social afin de leur opposer leurs symétriques antithétiques : la « femme traditionnelle », l’anti-Amazone) ; et 2o parce que la figure de la « femme nouvelle », moins chargée d’implicites et de valeurs connotatives païennes que l’Amazone, peut être investie plus facilement par le romancier catholique moyen, qui s’attache moins à la réécriture d’un mythe antique (particulier) qu’au combat moderne (généralisé) contre l’indépendance féminine. Portés par un souci exclusivement pragmatique (il faut détourner les lectrices des femmes aux « mœurs nouvelles »), les écrivain.es catholiques ont en effet tout intérêt à privilégier l’avatar contemporain de l’Amazone que constitue la « femme nouvelle », jugée plus apte à toucher l’esprit des lectrices de la Belle Époque, souvent ignorantes des termes mêmes d’un mythe préchrétien qui perturbe l’idéal catholique de la femme douce et obéissante. Rappelons toutefois que le monde catholique, à la charnière du XXe siècle, n’hésite pas à associer la « femme nouvelle » à l’Amazone, avec laquelle elle partage plusieurs attributs (l’indépendance, le savoir…) : ainsi, par exemple, lorsqu’il défend l’enseignement des pensionnats (catholiques) de jeunes filles contre les idées « nouvelles » portées par Mère Marie du Sacré-Cœur, Émile Keller s’exclame : « Aussi est-ce avec peine que nous voyons les esprits chagrins signaler la prétendue infériorité de nos pensionnats de jeunes filles […] et réclamer pour la femme française, au nom de la démocratie et de l’esprit moderne, les programmes étrangers qui, en Amérique, en font des avocats, des médecins, des comptables, des fonctionnaires, tout, excepté des mères de famille. Bientôt on en fera des soldats, et le triomphe de la civilisation du vingtième siècle sera de produire des régiments d’amazones […] » (cité dans Rebecca Rogers, Les bourgeoises au pensionnat. L’éducation féminine au XIXe siècle, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2007, p. 291). . Ainsi, à l’irruption simultanée, sur la scène sociale et romanesque des années 1880, d’une redéfinition anthropologique du féminin traditionnel, les milieux catholiques conservateurs répondent par l’exaltation d’une féminité exemplaire enrobée de motifs mariaux : en témoigne la multiplication coordonnée des Mois de Marie et des romans sentimentaux catholiques destinées aux jeunes personnes, dont les héroïnes purifiées ont pour fonction d’éduquer les lectrices à l’amour et au mariage chrétiens. Dans le même temps, des romanciers à la catholicité hétérodoxe tels Joséphin Péladan et Léon Bloy, rejetant le champ de la littérature populaire aux seules visées pragmatiques au profit d’une « littérature de recherche spirituelle6Frédéric Gugelot, La messe est dite. Le prêtre et la littérature d’inspiration catholique en France au XXe siècle, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2015, p. 172. » dont les accents se font volontiers occultes et mystiques, mettent en valeur des figures féminines hors d’atteinte qui touchent au sacré : il suffit, à cet égard, de rappeler les figures prophétiques de Véronique Cheminot et Jeanne d’Arc, chez Bloy, ou encore l’androgyne Pucelle déchiffrée par le Sâr dans son Secret de Jeanne d’Arc (1913).
Entre ces deux pôles antithétiques du (sous-)champ littéraire catholique, qui représentent, d’un point de vue intra-catholique, les deux termes d’une vision dichotomique du féminin, existe pourtant un vaste espace romanesque ordonné à la croyance et investi par ce que Frédéric Gugelot nomme les romanciers « de l’ordre et de la morale7Idem. ». Ceux-ci sont plus volontiers attachés à des questions politiques et sociales d’actualité et à l’affirmation identitaire : ils constituent ainsi la part la plus visible de l’« arrière-garde8À ce propos, voir William Marx, Les arrière-gardes au XXe siècle : l’autre face de la modernité esthétique, Paris, Presses Universitaires de France, 2004. » du mouvement de « renaissance littéraire catholique9Nous empruntons cette expression à Hervé Serry dans son article « Déclin social et revendication identitaire : la “renaissance littéraire catholique” de la première moitié du XXe siècle », Sociétés contemporaines, no 44, 2001, p. 91-109. Cette expression déjà vieille était employée presque telle quelle par Louis-Alphonse Maugendre, par exemple, dans son ouvrage La renaissance catholique au début du XXe siècle, 6 vol., Paris, Beauchesne, 1963-1971. » qui prend son plein essor au cours des années 1880-1930. Cet axe romanesque affilié à un réalisme renouvelé (christianisé10Voir Philippe Van den Heede, Réalisme et vérité dans la littérature. Réponses catholiques : Léopold Levaux et Jacques Maritain, Fribourg, Academic Press Fribourg, 2006. ), dirigé par les vertus morales bourgeoises et l’énonciation du Bien, est constitué d’une lignée de romanciers traditionalistes et conservateurs catholiques – ses principaux acteurs étant Paul Bourget, René Bazin et Henry Bordeaux –, dont la vision morale (et non plus théologique) s’avère propice à la fictionalisation de personnages féminins sériels confrontés à des dilemmes socio-moraux propres à la modernité et à son « esprit de révolution11Marcel Proust, La Prisonnière, vol. 11, Paris, Gallimard, 1923, p. 39. Cette expression est appliquée par le Narrateur à Albertine, jeune fille rieuse – presque frondeuse –, libre d’allure et qui aime les sports et les plaisirs aquatiques. Elle apparaît ainsi au lecteur comme le parangon de la jeune fille moderne. ».
Imprégnées de valeurs catholiques semblablement hiérarchisées, les œuvres des écrivains susmentionnés12Analysée davantage par la critique que celle de ses continuateurs, l’œuvre de Paul Bourget ne sera prise en compte que minimalement dans cet article. Notons par ailleurs que le personnel romanesque chez Bazin et Bordeaux incluant un nombre beaucoup plus élevé de figures de femmes nouvelles, il paraît légitime de s’intéresser en priorité à ces dernières et aux enjeux (tant narratifs qu’idéologiques) de leur mise en fiction. constituent un terrain idéal pour jauger la formation d’un contre-discours romanesque réagissant au modèle politique, culturel et social véhiculé par la IIIe République naissante. En réaction au topos naturaliste d’un religieux féminin détraqué, que les romanciers catholiques associent à l’avènement du nouveau régime aux lueurs positivistes, le roman traditionaliste catholique (au masculin13Il nous semble pertinent de poser l’hypothèse de l’existence, dans le (sous-)champ littéraire catholique du début du XXe siècle, d’un roman traditionaliste catholique au féminin, dont la figure de proue serait Colette Yver (1874-1953) et dont les préoccupations fictionnelles en matière de féminin nouveau, qui oscillent entre rappels à la tradition et revendications progressistes, ne seraient pas nécessairement fondées sur une remise en cause de la IIIe République anticléricale. Sur Colette Yver, voir par exemple Juliette M. Rogers, « Women at Work : The Femme Nouvelle in Belle Époque Fiction », L’Esprit créateur, no 4, 1997, p. 17-28 et Andrea Oberhuber, « Cervelines ou Princesses de science ? Les entraves du savoir des jeunes héroïnes dans le roman de la Belle Époque », Romantisme, no 165, 2014, p. 55-64. ), volontiers à contre-courant14Dans ses formes les plus exacerbées (c’est-à-dire dans lesquelles la clarification axiologique est maximale), le roman traditionaliste catholique peut même se transformer en « contre roman », au sens que donne à ce terme Pierre Pierrard : « La finalité du roman catholique est de combattre sur son terrain le “mauvais roman” […] Bref, il s’agit d’un “contre roman” – comme on dit contre-révolution – où le romanesque (sujet, intrigue, passions, style…) est sacrifié ou soumis au but final : édifier, moraliser, exalter la vertu » (« Question ouvrière et socialisme dans le roman catholique en France au XIXe siècle », Les Cahiers naturalistes, no 50, 1976, p. 166-167). , s’emploie à « différencier le christianisme de la République française laïcisée et de ses valeurs rationalistes et positivistes, en faisant des femmes (ou des symboles pieux les représentant) les marqueurs nets de cette distinction15Brenna Moore, « Feminized Suffering in Modern French Catholicism: Raïssa Maritain (1883-1960) and Léon Bloy (1846-1917) », Spiritus: A Journal of Christian Spirituality, no 1, 2009, p. 49. Nous traduisons. ».
Sans préjuger de la qualité des romans des auteurs à l’étude, et sans négliger l’intertexte de leurs autres œuvres, ce travail portera sur deux romans à thèse à succès16Tiré à 268 000 exemplaires, La Peur de vivre (1902) est le premier grand succès d’Henry Bordeaux, qui lui vaudra de nombreuses admiratrices. Quant à Davidée Birot (1912), « œuvre capitale » du romancier angevin, elle engendre, rappelle Jean Morienval, « tout un mouvement chez les institutrices laïques constituées en une association, les Davidées, émouvante preuve de l’influence d’un écrivain » (« Le roman catholique de 1870 à nos jours », dans Henri Brémond, Manuel illustré de la littérature catholique en France de 1870 à nos jours, Paris, Spes, 1925, p. 25). Rappelons par ailleurs que le romancier savoyard « fut parfois détesté pour son règne sans partage sur les lettres françaises avant 1920, avec Bourget, Barrès et Bazin » (Anne Buttin, Henry Bordeaux. Romancier savoyard (1870-1963), Chambéry, Société Savoisienne d’Histoire et d’Archéologie, 1990. p. 12). , qui, dans leur diversité thématique, constituent deux modalités de prise en charge par la mouvance traditionaliste de la « femme nouvelle », telle que celle-ci a pu apparaître aux yeux des milieux catholiques conservateurs autour de 1900 : indépendante, dédaigneuse de l’amour « légitime » – c’est-à-dire chrétien – et des valeurs féminines de dévouement et de sacrifice. Car chacun de ces récits s’attache à un aspect particulier de la vie féminine moderne qui dérange l’ordre socio-religieux séculaire : sont ainsi évaluées tour à tour la pusillanimité de la jeune fille devant les charges du mariage (La Peur de vivre17Henry Bordeaux, La Peur de vivre, Paris, Plon, 1933 [1902]. Désormais LPV, suivi du numéro de la page. d’Henry Bordeaux) et la morale laïque en phase avec l’union libre et l’adultère (Davidée Birot18René Bazin, Davidée Birot, Paris, Calmann-Lévy, 1912. Désormais DB, suivi du numéro de la page. de René Bazin). Appartenant au même bord idéologique, ces œuvres parues à l’époque du plein épanouissement du traditionalisme littéraire catholique (1900-1915) sont comparables pour ce qui nous concerne : outre que leurs héroïnes sont des jeunes filles confrontées à des dilemmes moraux relatifs à l’établissement et au maintien de la sacro-sainte cellule familiale, elles remettent toutes en question les idées de progrès héritées d’une société aux valeurs individualistes fermée au divin.
La Tradition familiale face à la « femme nouvelle » : charité chrétienne contre individualisme laïque
Disciple et ami de Paul Bourget – qu’il considère volontiers comme un « maître19Voir par exemple Henry Bordeaux, Le mariage (hier et aujourd’hui), Paris, Flammarion, 1921, p. 45. » dont il loue le conservatisme moral –, Henry Bordeaux s’applique lui aussi à démont(r)er les atteintes de l’individualisme au féminin et, parallèlement, les bienfaits du solidarisme20Comme l’explique Mgr Charles Gibier (1849-1931), évêque de Versailles, « on peut se faire de l’être humain une double conception : une conception individualiste et une conception solidariste. Voilà un homme qui est pauvre, qui vit dans un état voisin de la misère, qui a besoin d’être assisté. Si je m’inspire de la notion individualiste, je me contente de la soulager, de lui trouver du pain, des vêtements, un toit. Mais si je pars de la notion solidariste, je m’ingénie à améliorer son milieu familial et professionnel, je tâche de rendre son travail moins intermittent et plus rémunéré, je l’aide à sortir de sa pauvreté et à l’élever à une situation meilleure, en agissant sur le mécanisme social dont il fait partie. Dans le premier cas, j’ai accompli une œuvre charitable, et dans le second cas je me suis appliqué à une œuvre sociale » (cité dans Paul VI, article « Social (devoir, sens, ordre, etc.) », dans J. Bricout (dir.), Dictionnaire pratique des connaissances religieuses, Paris, Letouzey et Ané, 1927, p. 371-372). chrétien. Dès les années 1880, en effet, l’auteur des Essais réaffirmait le poids de l’autorité et de la responsabilité parentales, qui, lorsqu’elles ne sont pas dignement assumées, perturbent la descendance (voir L’Irréparable [1884] et Cosmopolis [1892]). Le dérèglement des liens familiaux, occasionné par l’absence de formation des esprits selon l’idéal moral, mais aussi par « l’excessive mobilité sociale » due à la « famille moderne, individualiste et mal assise21David Baguley, Fécondité d’Émile Zola. Roman à thèse, évangile, mythe, Toronto, University of Toronto Press, 1973, p. 177. » ou encore par le divorce22Nous faisons ici allusion aux romans de Paul Bourget Le Disciple (1889), L’Étape (1902) et Un divorce (1904)., est accusé de fragiliser la nation française, constituée, selon la vulgate traditionaliste, non pas de la réunion des individus mais de l’agrégat des familles.
Dans ce cadre, l’apparition, dans la société et la littérature, de la « femme nouvelle » (qui affiche parfois ouvertement les traits de l’Amazone) remet ipso facto en question « l’ordre social “éternel”23Paul VI, loc. cit., p. 371. Selon la pensée catholique, « l’ordre social désigne que la société n’est pas une juxtaposition d’individus indépendants et livrés à leurs caprices décorés du nom de liberté, mais un ensemble de corps organiques, coordonnés et subordonnés, et dont chacun a son rôle à remplir » (idem). » : posant en valeurs absolues ses droits et espérances individuels au détriment du « devoir social24« Devoir social laisse entendre qu’outre ses devoirs vis-à-vis de Dieu et de lui-même, tout homme a aussi ici-bas des obligations vis-à-vis de ses frères et vis-à-vis de la société au milieu de laquelle il vit. De tout temps, l’Église a prêché ce devoir ; mais elle a dû y insister davantage depuis un siècle, à cause de la destruction des associations et des empiétements d’un État envahisseur, qui ont longtemps paralysé l’indispensable action des citoyens dans l’État. Le devoir social n’est pas autre chose que l’esprit de justice et de dévouement en action » (ibid., p. 369). » (contraignant), la femme nouvelle, parce qu’elle envisage l’état de divorcée ou d’amante vivant en ménage comme des options de vie estimables, renverse la hiérarchie des valeurs et brise l’unité familiale (donc nationale) prônées par les tenants de la tradition chrétienne ; car, comme l’affirme Henry Bordeaux dans la préface qu’il rédige en 1905 pour son roman La Peur de vivre,
le seul fait de vivre en société, de profiter d’un ordre social, crée des devoirs sociaux. Nul n’a le droit d’arranger sa vie à part, car nul ne peut se passer des autres […]. Aujourd’hui un nouveau romantisme l’exalte [le développement de la force individuelle], et ce sont principalement les femmes qui le prêchent. Leur avènement dans la littérature contemporaine qu’elles ont envahie n’est qu’un symptôme d’un féminisme plus général. Moins apte que l’homme à saisir l’ensemble complexe des vies sociale et morale, la femme nouvelle épuise d’un coup ses revendications, et va d’un bond au bout de la route où conduisent la confiance en son pouvoir et cette vue bornée de l’univers qui se réduit à soi-même. (LPV, préface, 15 et 21)
À cet égard, La Peur de vivre25« Mme Guibert, une veuve assez âgée, à la fois timide et énergique, a perdu une fille, Thérèse, il lui reste trois fils, Étienne et François, fixés tous deux au Tonkin, et Marcel qui est officier des tirailleurs, ainsi que deux filles, Paule et Marguerite, qui a pris le voile chez les sœurs de la Charité. Plus riches, plus puissants [sont] les Dulaurens […] ; leur fille, Alice, est destinée au comte Armand de Marthenay, elle plaît à Marcel Guibert, elle l’aime, et pourtant elle refuse de l’épouser. […] Alice épouse donc Marthenay, et celui-ci, quand il quitte l’armée, connaît une terrible déchéance, […] Mme Guibert [quant à elle] voit mourir son fils Marcel » (Alain Niderst, Les bons sentiments de Henry Bordeaux, Paris, Alain Baudry et Cie, 2014, p. 53-54). constitue, avec L’Étape (1901) et les Roquevillard (1906), l’un des bréviaires du traditionalisme littéraire. « Nous invit[ant] à porter la main sur notre destinée », le roman est une négation (au sens de « changer un [état] en son contraire ou son contradictoire26Tzvetan Todorov, La notion de littérature et autres essais, Paris, Seuil, 1987, p. 52. ») des « aventures banales » dans lesquelles des personnages « fantoches […] nous démontrent que tout s’arrange et que rien ne mérite d’être pris au sérieux » (LPV, préface, 16). Lourdement didactique (c’est l’indice de la charge socio-morale conférée au récit par l’auteur), l’œuvre d’Henry Bordeaux soutient en effet la thèse opposée : rappelant que « dans la vie d’une nation moderne, à tort ou à raison, tout [y compris le roman] aboutit à la politique ou en subit le contre-coup » (LPV, préface, 15), l’écrivain dénonce, à travers un faisceau de voix autorisées, l’absence de volonté – « cause principale de l’acte moral27François Girerd, article « Vertu (Morale) », dans J. Bricout (dir.), op. cit., p. 833. », selon la pensée catholique – d’Alice Dulaurens, qui refuse par lâcheté d’épouser Marcel Guibert, figure-emblème de l’héroïsme chrétien au masculin, c’est-à-dire guerrier28Comme le rappelle avec justesse Alexandra Delattre, il existe, en régime catholique, un héroïsme chrétien au féminin, porté principalement par les figures de jeunes filles virginales et « fondé sur le dévouement : un héroïsme de la patience, qui vient compléter l’héroïsme [masculin] de l’action » (« La pureté impossible. Le monde catholique face au roman honnête », Romantisme, no 165, 2014, p. 26). ; car, en effet, tout, dans le roman, exerce une pression sur le jugement du lecteur (ou plutôt de la lectrice29Rappelons que les œuvres romanesques d’Henry Bordeaux, cas exemplaires du « roman moyen », sont principalement lues par des femmes et des jeunes filles au début du XXe siècle : la vaste correspondance de l’auteur en témoigne. Ainsi, comme le rappellent Simone Vierne et Luce Czyba, les romans de Bordeaux, et « en particulier La Peur de vivre et Les Yeux qui s’ouvrent, les plus souvent cités [dans sa correspondance], élèvent et fortifient l’âme, […] mettent en scène des jeunes filles que les lectrices prennent pour modèles, […] les aident à envisager l’avenir avec courage et confiance et les préparent à leur rôle d’épouses et de mères de famille. Rares sont donc les jeunes filles qui se permettent des critiques à l’égard d’H. Bordeaux et encore ces critiques, qui portent sur des aspects secondaires de son œuvre, contribuent-elles à mettre en évidence le crédit du romancier et l’impact de sa production. Les réactions des jeunes filles corroborent ce que leurs éducatrices déclarent attendre de la lecture des romans d’H. Bordeaux : l’édification de leurs élèves » (« Le lectorat privilégié », dans Simone Vierne, Luce Czyba, Daniel Grange et Philippe Paillard (dir.), Les correspondants d’Henry Bordeaux et leur temps (1902-1963), t. 1, Paris, Honoré Champion, 1995, p. 438-439).), appelé.e, par le biais des redondances évaluatives textuelles, à condamner le comportement empreint d’« égoïsme passif » (LPV, préface, 13) d’Alice, femme nouvelle « tern[e], flasqu[e] et mo[lle] », qui n’a « pas laissé le souvenir d’une personnalité, […] [a] à peine vécu : […] [a] eu peur de vivre » (LPV, préface, 12). Outre les énoncés axiologiques de plus en plus envahissants du narrateur, les prônes du porte-parole de l’auteur, Mme Guibert, servent à entériner les normes qui sont à l’origine du canevas moral du livre :
– Vous avez eu peur de la vie. Vos parents ont eu peur de la vie pour vous. La vie, Alice, ce n’est pas la distraction et le mouvement du monde. Vivre, c’est sentir son âme, toute son âme. C’est aimer, aimer de toutes ses forces, toujours, jusqu’à la fin, et jusqu’au sacrifice. Il en faut craindre ni la peine, ni les grandes joies, ni les grandes douleurs : elles sont la révélation de notre nature humaine. Il faut prendre aux jours qui passent le bien qui ne passe pas. La jeune fille qui se marie vient partager des travaux et des périls, et non pas chercher une plus grande aisance, ou de plus frivoles plaisirs. Dans son dévouement même, elle trouvera plus de charmes. Vous ne le savez pas. (LPV, 250-251)
Très vite placée par le récit au sommet de la hiérarchie des valeurs morales – c’est-à-dire, dans l’esprit de Bordeaux, chrétiennes30En cela, Henry Bordeaux s’inscrit dans la droite ligne du courant traditionaliste qui, à l’instar de Ferdinand Brunetière, juge « qu’on ne peut pas dire […] qu’il y ait une “morale scientifique” ». (Cité dans Alphonse V. Roche, Les idées traditionalistes en France de Rivarol à Charles Maurras, Urbana, University of Illinois, 1937, p. 147.) Ainsi, de Bourget à Barrès, on soutient que « la morale a besoin de Dieu. Elle doit reposer sur l’absolu. Pas de morale sans religion. Comme par ailleurs, on ne saurait concevoir la morale que par rapport à la société, il s’ensuit naturellement que la religion doit être sociale, non individuelle » (idem). –, Mme Guibert, en tant qu’elle représente l’autorité (enseignante) de la cellule familiale dans son ensemble, a pour fonction de guider la lectrice vers les valeurs prêchées par le christianisme et destinées aux futures mères-épouses, à savoir le dévouement, le sacrifice, voire la résignation31Sur la place de la résignation dans la culture catholique du tournant des XIXe et XXe siècles, voir l’ouvrage bien documenté de Jean-François Galinier-Pallerola, La résignation dans la culture catholique en France (1870-1945), Paris, Le Cerf, 2007.. C’est la charge axiologique conférée par Bordeaux aux exhortations finales et, plus généralement, aux multiples maximes professées par la vieille femme tout au long du récit : celles-ci visent en effet à sortir la lectrice, « le temps de ce[s] énoncé[s], des seules limites de l’univers fictionnel pour réfléchir une portion de réel dans le geste d’une synthèse gnomique32Christine Montalbetti, La fiction, Paris, Garnier Flammarion, 2001, p. 32. C’est John Searle qui, dans Sens et expression (1982), sanctionne l’idée d’une perméabilité du texte de fiction, « qui passe par une exhibition ponctuelle de segments de texte » (ibid., p. 36). En ce sens, les énoncés gnomiques proférés par les diverses instances tout au long du récit évoquent l’idée d’une vérité littérale de la fiction, que les lecteurs ont à charge de méditer. ». Par ailleurs, la valeur d’exemplarité conférée au personnage par la totalité des actants contraste avec la mauvaise conduite des figures de matriarches aux commandes des familles Dulaurens et Orlandi, érigées en personnages-repoussoirs par leurs actes et paroles en contradiction avec les (sacro-saints) principes de la moralité bourgeoise33En régime traditionaliste catholique, acquis à « la promotion des valeurs bourgeoises » (Frédéric Gugelot, op. cit., p. 23), le système axiologique du narrateur comme le marquage idéologique (positif ou négatif) des personnages passent principalement par la conformité ou non de leurs actes et paroles avec les codes traditionnels de la morale et de la vie sociale. Autrement dit, l’idéologique prime sur le textuel, le savoir-vivre constituant généralement la dominante normative du texte. Sur le personnage et sa mise en valeur(s), voir Philippe Hamon, Texte et idéologie, Paris, Presses Universitaires de France, 1984 ; Vincent Jouve, L’effet-personnage dans le roman, Paris, Presses Universitaires de France, 1992 et Poétique des valeurs, Paris, Presses Universitaires de France, 2001. . Tandis que la famille Guibert n’est dirigée par une femme (à la personnalité mariale, néanmoins) que par la plus stricte nécessité – M. Guibert étant mort martyr après avoir sauvé moult habitants d’une maladie ravageuse –, les familles Dulaurens et Orlandi sont pilotées par des figures féminines autoritaires qui n’ont pu devenir telles que du fait de la médiocrité (M. Dulaurens) ou de la mort sans religion (M. Orlandi) des figures paternelles. Faisant écho aux récriminations de Bordeaux dans sa préface, ces personnages (ou leur souvenir) n’apparaissent dans la diégèse que pour rappeler périodiquement à la lectrice la conduite de vie à ne pas suivre. C’est ainsi que M. Dulaurens, à intervalles réguliers au cours du récit, rappelle qu’« il faut assurer sa tranquillité. Là est le secret de la vie… » (LPV, 4834Voir aussi LPV, 93. ). En ce sens, les familles Dulaurens et Orlandi renversent les valeurs patriarcales (et chrétiennes) séculaires : chez elles, la figure du père et du mari, sous-masculinisée (en témoignent tant la maladie morale de M. Dulaurens, avide de « tranquillité », que la servitude physique du mari d’Isabelle Orlandi), engendre la domination de la mère et de l’épouse. C’est le signe de la victoire de la féminité amazonienne et de la faillite de la famille moderne, au sein de laquelle le pater familias perd son autorité légitime au profit d’un féminin soumis à « cette vue bornée de l’univers qui se réduit à soi-même » (LPV, préface, 21).
Si Bordeaux insiste tant sur l’avilissement parental chez les Dulaurens et les Orlandi, c’est parce qu’en propagateur exemplaire des théories traditionalistes en régime fictionnel, il juge, à la suite de Maurice Barrès, « que notre destinée ne se réalise pleinement que si elle se relie au passé dont l’écho vibre encore en nous, que sentir une race vivre en soi c’est le plus merveilleux exhaussement de la personnalité35Henry Bordeaux, Pèlerinages littéraires : Maurice Barrès, Pierre Loti, Sainte-Beuve, Alphonse Daudet, Émile Faguet, Émile Gebhart, Paris, A. Fontemoing, 1907, p. 26. ». Soumis aux conceptions (qui sont aussi contraintes narratives) d’une solidarité quasi-mystique entre les ancêtres et les descendants – qu’il serait utile de comparer plus avant aux principes régulateurs de l’hérédité naturaliste –, le destin romanesque d’Alice Dulaurens est programmé a priori : issue de générations dénuées de « principe[s] […] de vertu36Mgr Dupanloup, cité dans Alfred Nettement, Le roman contemporain : ses vicissitudes, ses divers aspects, son influence, Paris, J. Lecoffre, 1864, préface, p. ii. » chrétienne, la jeune fille moderne devient elle-même l’intermédiaire des vices familiaux et est condamnée à ne pas vivre jusqu’au bout son « parachèvement féminin » de « femme en fleur37Colette Yver, Le Mois de Marie, Paris, Flammarion, 1932, p. 7. » ; car, si elle est certes autorisée à donner la vie38Romancier de la bienveillance et de la bien-pensance, Henry Bordeaux s’applique sans relâche à faire triompher les principes vitaux dans son œuvre romanesque. La fin de La Neige sur les pas (1911) est éloquente à cet égard, qui loue « la vie sans cesse agissante, dure et volontaire, comme une troupe en marche, et qui du passé même se sert comme de matériaux pour reconstruire, la vie avec son besoin d’ordre et son éloignement naturel pour tout ce qui bouleverse cet ordre, ses possibilités de grandeur et de perfection, son éternelle poursuite de la paix à travers la guerre […], la vie qui conduit à Dieu ou au néant, la vie plus forte que l’amour qu’elle contient » (Paris, Plon-Nourrit et Cie, 1912, p. 348). Notons par ailleurs que dans la dédicace rédigée par l’écrivain savoyard à destination de l’académicien catholique Étienne Lamy dans La Petite Mademoiselle (1905), Bordeaux rappelle que son roman, qui dénonce les persécutions religieuses des années 1900-1905, « combat [lui aussi] à sa manière la peur de vivre ». Contrairement aux romanciers de la « recherche spirituelle » (Barbey d’Aurevilly, Léon Bloy, Georges Bernanos, François Mauriac), qui placent la vie surnaturelle (la vie de la grâce) adossée à l’amour de Dieu au centre de leur poétique, Bordeaux (comme Bazin) se préoccupe davantage de « la vie naturelle de l’homme » (Ad. Tanquerey, article « Vie », dans J. Bricout, op. cit., p 881) : il s’agit, pour celui qui veut consolider l’armature morale et sociale de la citadelle assiégée qu’est le catholicisme au tournant du siècle, de contrer par l’optimisme vital le pessimisme mortifère qui semble régner dans le champ littéraire légitime des années 1880-1890 (voir, à ce propos, la notion de « héros » en régime naturaliste et décadent). C’est en ce sens qu’il faut entendre les appels répétés au courage et au relèvement moral qu’évoquent les titres de ses ouvrages. Citons seulement quelques exemples évocateurs : La Course à la vie (1893) ; La Vie au théâtre (1908-1913) ; Les Deux Faces de la vie (1911) ; Épisodes de la vie littéraire (1934) ; Aimer la vie (1937) ; Vie de Saint François de Sales (1938) ; Notre-Dame de la vie (1944). (la condamnation auctoriale de la femme nouvelle ne devant pas aller à l’encontre de la propagation des vivants, suivant les conceptions natalistes de Bordeaux), elle est en revanche abandonnée par son époux qui, contrairement au martyr Marcel Guibert, choisit de ne pas se sacrifier pour sa patrie. Pourtant, selon l’idéal traditionaliste, « c’est encore cette Patrie qui remplit dans le monde le rôle que la famille joue dans la nation, le rôle d’Unité, de cellule vitale : la Patrie identifiée avec les morts enfouis dans ce sol et dans la paix du Seigneur, Dieu des Francs39Guy de Cassagnac, L’idée traditionaliste dans le roman de M. Paul Bourget : L’Émigré, conférence donnée au Cercle du Luxembourg (Association générale des étudiants catholiques), à Paris, le 16 décembre 1907, Paris, Société française d’imprimerie et de librairie, 1908, p. 8. Notons que si Henry Bordeaux, à travers la figure de Marcel Guibert, loue tant la vie active du soldat, c’est notamment en vue de réagir à l’antimilitarisme des Soirées de Médan et de leurs suites littéraires (Le Calvaire de Mirbeau, 1886 ; Sous-Offs de Lucien Descaves, 1889 ; ou encore La Débâcle de Zola, 1892). ». En « détourn[ant] [son] mari de sa carrière » (LPV, 252) de soldat-colonisateur, Alice Dulaurens contrarie ainsi la tradition familiale et nationale fondée sur l’expansion de la race française à l’étranger (rappelons que tous les enfants de Mme Guibert sont des colons au terme du roman) ; car, si elle est certes un dépôt à conserver précieusement, la tradition, « dans quelque ordre que vous la preniez, n’est pas une pétrification, elle est une vie, et une vie marche, croît, s’épanouit, évolue40Abbé G. de Pascal, Conférence concernant la renaissance du traditionalisme en politique, Paris, Librairie des Saints-Pères, 1904, p. 5. C’est l’auteur qui souligne. La tradition, en effet, vit à travers les membres passés qui agissent sur la personnalité présente (d’où le respect dû aux morts), à travers les membres futurs qui vont naître (d’où la nécessité du mariage et de la maternité, qui perpétuent la famille), mais aussi par les membres présents (d’où l’insistance traditionaliste relative à l’indissolubilité du sacrement de mariage). ». La femme nouvelle Alice, par sa crainte de perpétuer la race chrétienne des Guibert et de « subordonner les intérêts de sa personnalité au lien social41Joseph Ferchat, Le roman de la famille française : essai sur l’œuvre de M. Henry Bordeaux, Paris, Plon-Nourrit, 1912, p. 279. », ne se soumet donc pas au principe de discipline certes restrictif, mais avant tout régulateur pour l’individu, qu’est l’institution familiale équilibrée. Néanmoins l’auteur, fidèle à sa poétique du happy end tant appréciée par ses lectrices, clôt son roman sur une note d’espoir : car si le mariage d’Alice avec M. de Marthenay appelle, suivant la ligne traditionaliste, la perpétuation future de sa déchéance présente (son choix égoïste) et passé (les vices des aïeux), l’aide religieuse et morale accordée à la jeune fille par Mme Guibert, figure de la bienveillance élevée in extremis au rang de directrice de conscience, servira de contrepoison capable de régénérer la « nouvelle » famille des Marthenay :
– […] Vous pouvez encore être heureuse. Votre fille vous y aidera. Avec un enfant, une femme est-elle jamais à plaindre ? Préparez cette jeune existence à la vertu, à la fermeté. Aimez-la, non pour vous, mais pour elle. Et la paix de Dieu descendra sur vous.
– Ah ! dit Alice émue, si vous consentiez à me recevoir quelquefois, à me parler ainsi, il me semble que je reprendrais courage.
[…]
– Venez quand vous aurez besoin de moi, répondit-elle simplement. (LPV, 25242Nous soulignons. En tant qu’elle implique la régénération morale d’une famille, et, par-delà, de la société dans son ensemble, la prise en charge d’Alice Dulaurens par Mme Guibert représente l’application fictionnelle exemplaire, au sein de la famille, de la théorie solidariste catholique définie supra. )
Tout mouvement moral ascensionnel n’est donc pas exclu pour les Marthenay, mais nécessitera l’action cumulée de plusieurs générations « prépar[ées] […] à la vertu, à la fermeté ». Et, à cet égard, le sort réservé au personnage secondaire flat (au sens que donne à ce terme E. M. Forster) Isabelle Orlandi semble bien autrement fatal : représentant l’ultime étape (incurable) de la femme nouvelle, la jeune fille obnubilée par la beauté et le luxe (Isabelle Orlandi) et surcodée axiologiquement par l’ensemble des tares féminines modernes dévaluées par Bordeaux dans sa préface, provoque la fin (morale) de sa race. Abandonnée par Jean Berlier qui lui préfère la mariale – solidarité familiale oblige – Paule Guibert, la jeune fille doit répondre à la lectrice de son égoïsme (actif, cette fois) : car si la vierge Alice Dulaurens certes méconnaît la juste hiérarchisation des valeurs conjugales, elle ne rejette jamais le statut d’épouse-mère. Isabelle, au contraire, « demi-vierge43Nous faisons ici allusion au roman controversé de Marcel Prévost Les Demi-Vierges (Paris, A. Lemerre, 1894). » flirteuse, refuse en bloc la maternité et le mariage d’amour : en ce sens, elle apparaît comme la figure féminine la plus proche de l’Amazone (le culte des apparences qui la caractérise ne visant en réalité qu’à renforcer la condamnation lectoriale d’une « demi-vierge » qui est également une « demi-femme » opposée à sa fonction « naturelle » de mère), d’où son abandon par l’écrivain catholique.
Chantre de la tradition et « romancier de la famille française44Nous empruntons presque tel quel le titre de l’ouvrage de Joseph Ferchat cité supra. », Henry Bordeaux se sert d’une panoplie de figures dérangeantes de femmes nouvelles45« J’ai été amené à préciser nos différentes attitudes modernes devant la vie », explique Bordeaux dans sa préface (LPV, 11). dans le but d’asseoir davantage ses théories traditionalistes empreintes de catholicisme, et ce dans des œuvres qui privilégient (sans surprise) la notion de temps sur celle d’espace : si « les générations sont une chaîne infinie dont les individus sont les anneaux46Maurice Ligot, Le sens de la vie et l’idée de l’ordre dans l’œuvre d’Henry Bordeaux, Paris, Éditions de la Vraie France, 1924, p. 52. », alors la rupture d’un seul anneau féminin est mauvais présage dans une société en voie de laïcisation : appelée à devenir une « bonne catholique47Voir Michela De Giorgio, « La bonne catholique », dans Geneviève Fraisse et Michelle Perrot (dir.), Histoire des femmes en Occident, vol. 4, Paris, Plon, 1991, p. 169-179. », la jeune fille touchée par l’inquiétude (Alice Dulaurens) ou le découragement (Isabelle Orlandi), c’est-à-dire par les « deux maladies où saint François de Sales voyait la cause de la plupart des vies manquées48Henry Bordeaux, préface à Émile Mariotte, L’Énigme de la vie, Paris, A. Lemerre, 1909, p. XIII. La conception de l’amour dans l’œuvre romanesque de Bordeaux est largement influencée par l’Introduction à la vie dévote (1609) de saint François de Sales. À ce propos, voir les nombreux ouvrages de Bordeaux sur le saint savoyard, et en particulier Saint François de Sales et notre cœur de chair (1924) ainsi que Le mariage d’amour selon saint François de Sales (1933). Selon le romancier catholique, « la doctrine de saint François de Sales se résume en deux mots : acceptation libre et définitive – bien que ces deux épithètes paraissent contradictoires – et amour » (ibid., p. 31). », corrompt non seulement sa propre famille mais l’ensemble du système familial et, par-delà, la nation française. Agent de contamination, sa présence narrative appelle donc par réaction celle de son contrepoison moral : c’est, dans La Peur de vivre, la fonction dévolue à Mme Guibert et, dans une moindre mesure, à Paule Guibert – doublure de la lectrice. De fait, la confrontation en des points textuels et des espaces diégétiques privilégiés (telle la maison, lieu par excellence du devoir-être et du devoir-faire domestiques49L’importance (morale) de la maison est une dominante (tant thématique que formelle) dans l’œuvre d’Henry Bordeaux : en témoignent les nombreuses descriptions de (vieilles) maisons, comme celle du Maupas (LPV), de la Vigie (Les Roquevillard, 1906), de la Vierge-au-bois (La Robe de laine, 1910), de Publier (La Neige sur les pas, 1911) ou encore de Thonon (La Maison, 1912), pour ne citer que quelques exemples emblématiques. Ainsi que le rappelle Henry Bordeaux lui-même : « Une maison, un mobilier, c’est l’histoire d’une famille, l’expression la plus sûre d’un temps, d’une race. On reconstitue la vie d’autrefois avec la distribution et la composition des appartements. L’architecture, l’ameublement sont avant tout des arts d’appropriation » (cité dans Maurice Ligot, op. cit., p. 79). En ce sens, la maison familiale des Guibert, dans (et par) laquelle se transmet la foi au fil des générations (masculine et féminine), s’oppose de manière absolue au gynécée des Orlandi (et dans une moindre mesure celui des Dulaurens), derrière les murs duquel toute transmission d’ordre païen (et frivole) se fait exclusivement de mère en fille : « – Mme Orlandi est revenue dans sa ville natale pleurer ses charmes perdus plutôt que son mari. […] Après la fuite de sa jeunesse, elle a quitté le monde et l’Italie. […] Mais elle ne voulut pas déchoir aux lieux mêmes de ses triomphes. Elle a retiré de son appartement toutes les glaces ; elles se sont réfugiées, assure-t-on, dans la chambre de sa fille » (LPV, 71-72). ) des figures féminines du Bien(veillant) et du Mal(in) permet à l’auteur de multiplier les énoncés gnomiques destinés à façonner moralement la vie des lectrices ; car, ainsi que le rappellent justement Simone Vierne et Luce Czyba, « la plupart de ses livres [d’Henry Bordeaux] contiennent, sous une forme attrayante et émouvante, une exhortation morale : un problème est soulevé, une solution est indiquée50Simone Vierne, Luce Czyba, Daniel Grange et Philippe Paillard (dir.), op. cit., p. 46. ».
Précisons qu’en régime traditionaliste catholique, la perte de la transmission des valeurs féminines trouve son origine dans le rejet par la République masculine, rationaliste et matérialiste51Sur ce point, voir Judith Surkis, Sexing the Citizen : Morality and Masculinity in France, 1870-1920, Ithaca, Cornell University Press, 2006 et Barbara Corrado Pope, « Immaculate and Powerful : The Marian Revival in the Nineteenth-Century », dans Clarissa W. Atkinson, Constance H. Buchanan et Margaret R. Miles (dir.), Immaculate and Powerful : The Female in Sacred Image and Social Reality, Boston, Aquarian Press, 1986. des valeurs chrétiennes de sainteté et de dévouement52Comme le souligne Félix Boillot, « la foi, c’était la gardienne zélée et attendrie de la tradition » (Du culte de la tradition, Paris, Presses Universitaires de France, 1927, p. 10).. C’est ainsi que Bordeaux, dans La Petite Mademoiselle (1905), prend pour héroïne une jeune fille injustement condamnée par le régime pour s’être opposée à l’expulsion violente de carmélites démunies. Dans La Peur de vivre, l’État républicain est dénoncé à travers les contradictions actantielles et éthiques de ses représentants locaux : l’instituteur Maillard, anticlérical convaincu, enjoint le maire alcoolique à ne pas se rendre en personne chez les « ennemis de la République » (LPV, 160) Guibert pour leur annoncer la mort du pourtant héroïque Marcel, et ce en violation directe des ordres du ministre de la Guerre. Quant au maire, l’infériorité du dilemme éthique qui paralyse sa volonté (il est incapable de choisir entre « son devoir naturel et le devoir républicain qu’on lui faisait entrevoir53LPV, 160. ») diminue la valeur du régime qu’il représente. Plus généralement, rappelons que c’est l’absence de foi qui est à l’origine de la déchéance conjugale d’Alice Dulaurens ; c’est la raison pour laquelle Paule Guibert, au seuil de son mariage avec Jean Berlier – que Mme Guibert n’hésite pas à appeler son « fils » (LPV, 24354Voir aussi LPV, 231. Le choix narratif qui consiste à refuser l’affectif facile (le mariage de Marcel Guibert et d’Alice Dulaurens) signale, en réalité, la portée idéologique de l’œuvre : la contamination d’Alice due à la transmission des tares familiales risquant de provoquer la déchéance morale de la famille Guibert en cas d’alliance, il ne convient pas de concéder au mariage des actants : cela pourrait nuire aux desseins moralisateurs du roman en faisant croire à la lectrice qu’un mariage déséquilibrée (la vertu ne touchant pas les deux êtres de manière égale) est valide et fonctionnel sur le plan physico-moral. Au contraire, en légitimant l’union de Jean Berlier et de Paule Guibert à travers la voix autorisée de Mme Guibert (car si Jean Berlier est son fils spirituel, c’est que sa probité morale ne peut être mise en doute), l’auteur indique que la sanité morale de la famille française ne peut être assurée qu’à travers l’union de deux êtres également purs et mus par le même sens chrétien.) –, choisit de se convertir (au sens dix-septiémiste du terme55C’est-à-dire au sens « d’un changement à l’intérieur de la religion, d’une révolution de l’âme vers une pratique plus complète de cette religion, bref, d’un approfondissement de la foi personnelle » (Robert North, Le catholicisme dans l’œuvre de François Mauriac, Paris, Éditions du Conquistador, 1950, p. 63).) au catholicisme.
Notons pour finir que si, dans La Peur de vivre, les figures « crescendos » d’Amazones que sont Alice et Isabelle – et qui représentent, dans l’esprit de Bordeaux, les deux visages inquiétants de la féminité moderne56Par sa « peur de vivre », Alice est l’emblème de la passivité féminine moderne causée par le pessimisme propre à la société fin-de-siècle. Isabelle, quant à elle, représente l’émancipée par excellence. Elle est le fruit d’un féminisme oublieux de la vocation première de la femme : la maternité couplée au mariage d’amour. – trouvent certes leur contre-modèle païen dans la figure antique de Niobé (Mme Guibert57« Dans l’héroïsme de Mme Guibert, il [Jean Berlier] découvrait de nouvelles raisons de prendre confiance en Paule, digne d’une telle mère, et il ne voyait pas qu’il allait demander à la pauvre femme son plus grand sacrifice, à Niobé son dernier enfant, celui qu’elle presse, éperdue, dans ses bras et que les dieux ont encore épargné… » (LPV, 216). Notons par ailleurs que l’avant-dernier chapitre, le plus religieux du roman, s’intitule « Le dernier enfant de Niobé ». En 1928, dans Andromède et le monstre, Henry Bordeaux se servira du mythe d’Andromède pour condamner plus fermement encore la figure de la « femme nouvelle » Andrée Nesle, qui refuse d’épouser son Percée Gérard Ancy et préfère retourner dans les griffes du monstre Sauveterre. La condamnation auctoriale est sans appel : l’héroïne finit vieille fille. ), celle-ci est en revanche largement christianisée : car, si la mère de Paule perd un fils (Marcel) et une fille (Thérèse), c’est moins par orgueil, comme dans le mythe58Niobé, fille de Tantale, est la reine de l’orgueil dans la mythologie gréco-latine : Eduard Jacobi rappelle que, « suivant Homère, elle épousa Amphion, roi de Thèbes, et en eut six fils et six filles. […] Fière de sa fécondité, elle osa se préférer à Latone, et vit périr ses enfants sous les traits d’Apollon et de Diane. Neuf jours durant, ils demeurèrent couchés au sol […]. Le dixième jour, les dieux, touchés de pitié, leur donnèrent eux-mêmes la sépulture ; et Niobé, lassée d’avoir pleuré pendant ces dix jours, consentit enfin à manger » (Dictionnaire mythologique universel, trad. Thalès Bernard, Paris, Firmin Didot frères, 1846 [1835], p. 340). , que par acceptation volontaire des souffrances, suivant la mystérieuse logique de la tentation divine au Bien relevée avec succès par Abraham. En réalité, le personnage de Mme Guibert permet à l’écrivain catholique de louer l’obéissance des femmes aux « voies impénétrables » de Dieu en matière de souffrance. Autrement dit, il s’agit de préparer les lectrices, à travers une mystique et une rhétorique de la foi, aux difficultés de la vie maternelle à venir. C’est bel et bien la raison de la « marialisation » du personnage de la mère opérée par l’auteur : à l’instar de la Vierge Marie, celle que Jean Berlier jure « bénie entre toutes les femmes » (LPV, 228) perd son « bon » et « cher » (LPV, 176) fils Marcel parti évangéliser (par les armes : c’est un croisé) les contrées païennes. Face à la mort du fils et au départ de sa fille aux colonies, la vieille dame, loin d’en vouloir à Dieu et de s’abandonner à des regrets qui la tiendraient « penchée et en larmes59Pausanias, cité dans ibid., p. 341. » (à l’instar de Niobé), lève au contraire les yeux au Ciel et approfondit sa foi, à l’image de l’endeuillée Marie : la lectrice est appelée à imiter son exemple.
La morale laïque ou la loi de Dieu : quelle base pour les mœurs féminines modernes ?
Une décennie plus tard, dans le contexte post-Séparation des Églises et de l’État – régi par le contrôle resserré, par la République, des écoles de jeunes filles –, c’est au tour du catholique René Bazin de mettre en texte des figures de femmes nouvelles chargées de dénoncer les principes républicains de neutralité religieuse au sein de l’école, ainsi que les nouveaux modes de vie au féminin ; car, dans l’esprit de l’écrivain traditionaliste, « hanté par la question sociale60Louis Chaigne, « Les contemporains », dans René Aigrain (dir.), Ecclesia. Encyclopédie populaire des connaissances religieuses, Paris, Bloud et Gay, 1948, p. 616. », c’est bel et bien la perte du culte des traditions religieuses et l’individualisme laïque qui entraînent la dissolution des esprits (Davidée Birot) et des mœurs (Phrosine).
Au tournant des XIXe et XXe siècles, la figure de l’institutrice laïque fait son entrée sur la scène romanesque (en particulier régionaliste). Personnage au fort potentiel idéologique à l’heure où la IIIe République prend définitivement la main sur le système éducatif au détriment de l’Église enseignante, elle représente l’un des prototypes de la femme au travail, remarquée par les villageois pour son savoir qui dérange la communauté masculine. Comme le souligne Jean-Marie Seillan, « qu’elle [l’institutrice] le veuille ou non, sa vie exerce sur les principes traditionnels de conjugalité et d’autorité masculine un effet déstabilisant qui fait d’elle, plus ou moins consciemment, l’ambassadrice des revendications féministes61Jean-Marie Seillan, « L’institutrice de roman : une gageure narrative (Fèvre-Desprez, Guiches, Frapié, Bazin) », dans Sylvie Thorel (dir.), Simples vies de femmes. Un petit genre narratif du XIXe siècle, Paris, Honoré Champion, 2014, p. 73. ». Jeune et instruite, sans mari ou enfant à charge62« […] surtout pas de rêve d’amour conjugal. […] Et puis, ma petite, je ne connais pas beaucoup de nos collègues masculins que je consentirais à épouser… Non, voyez-vous, il faut aimer le métier pour lui-même, mettre son cœur entre deux feuilles de papier buvard pour qu’il se dessèche bien […] » (DB, 12). , elle porte en elle une forme de modernité féminine qui déclenche la narrativité, d’autant plus qu’étant « investie d’un rôle de missionnaire de la laïcité63Jean-Marie Seillan, loc. cit., p. 72. », son statut de représentante de l’État est difficilement accepté par les familles chrétiennes. Bref, elle perturbe les codes traditionnels de l’enseignement régional, jusqu’alors établis par la hiérarchie ecclésiastique et mis en œuvre par les congrégations religieuses enseignantes.
Davidée Birot, dans la « monographi[e] féminin[e]64Anne-Simone Dufief, « Portraits de femmes et vie spirituelle dans l’œuvre de René Bazin », dans René Bazin, Un écrivain à [re]découvrir, Colloque international du 10, 11, 12 mars 2016, Le Coudray-Macouard, Saint-Léger, 2017, p. 214. Paru en feuilleton dans le supplément de La Revue hebdomadaire, à partir du 25 novembre 1911, DB « entremêle habilement deux récits : la rencontre de Maïeul, fendeur d’ardoises, et de Davidée Birot, institutrice à l’Ardésie, et la recherche par Davidée d’une ligne morale pour donner sens à l’éducation des filles qui lui sont confiées. Ces deux fils conducteurs se nouent dans le personnage d’Anna, élève de Davidée et fille de Phrosine abandonnée par son mari et concubine de Maïeul » (Jean-Luc Marais, « Davidée Birot (1912) : un débat à l’issue imprévu », dans ibid., p. 196). » éponyme de René Bazin, est l’une de ces figures de femmes nouvelles (savantes), chargées d’instruire – et d’éduquer, les deux termes se superposant dans une société où s’affrontent avec violence des idéologies antagoniques – les jeunes filles à la morale laïque prônée par le nouveau régime républicain. Néanmoins, loin d’opter pour la mise en fiction de la confrontation entre l’institutrice laïque et les autorités ecclésiastiques, René Bazin construit au contraire une figure de jeune fille qui doute de l’efficacité pratico-morale de son enseignement : son œuvre a donc le mérite de privilégier les potentialités psychologiques qu’offre le dilemme moral intériorisé par rapport au conflit extériorisé avec les autorités cléricales.
Plus subtil qu’Henry Bordeaux, l’écrivain angevin ne surcharge pas son récit de commentaires évaluatifs intempestifs qui annulent la liberté interprétative du lecteur : c’est que son œuvre, si elle est certes « honnête65DB est classé parmi les ouvrages « honnêtes » dans l’« essai de classification » de l’abbé Louis Bethléem Romans à lire et romans à proscrire, essai de classification au point de vue moral des principaux romans et romanciers (1500-1928) avec notes et indications pratiques, 10e éd., Paris, Éditions de la Revue des lectures, 1928 [1905]. », n’est pas pour autant destinée exclusivement aux jeunes personnes, ce que rappelle l’abbé Bethléem dans son célèbre Romans à lire et romans à proscrire : « Davidée Birot (histoire d’une institutrice communale qui se convertit ; œuvre de vrai apostolat catholique ; notes trop crues pour les jeunes filles)66 Ibid., p. 369. Notons toutefois que le lectorat de René Bazin est majoritairement composé de jeunes personnes et de femmes, comme l’atteste sa correspondance. Le mouvement des Davidées, jeunes filles institutrices, en témoigne également. ». C’est donc par d’autres moyens que Bazin cherche à convaincre son lectorat de la nécessité sociale de refonder les bases de l’enseignement sur un canevas moral plus directement en phase avec la religion traditionnelle. Le moyen le plus lisible/visible est la monstration non pas de la bienfaisance de la religion catholique (le doute moral constitue la dominante axiologique du roman), mais de l’individualisme et du sectarisme prônés par le Ministère de l’Enseignement à travers ses représentants locaux et régionaux. Ainsi, par exemple, il apparaît très vite au lecteur que Renée Desforges, collègue de Davidée Birot et vieille fille fort bien vue de la hiérarchie éducative, est un personnage-relai investi négativement par l’auteur dans le but de pointer l’impuissance herméneutique de la morale laïque, qui, sous couvert de la distinction des ordres, détourne les institutrices de rechercher « la solution du problème du mal » et de la souffrance existentielle :
Vous êtes encore une débutante après trois ans et demi de professorat, et, comme une nouvelle arrivée, naïve, […] vous me faites pitié ! Vous ne parlez pas de mariage, mais vous entretenez, vous cultivez, vous perfectionnez votre sensibilité ; à propos d’une enfant malade, d’une femme qui meurt, d’une grève, d’un chat qui miaule ou d’un martinet qui se casse l’aile, je vous vois vous agiter, souffrir, chercher la solution du problème du mal, tandis que vous n’êtes qu’une pauvre petite institutrice adjointe, exilée au bourg de l’Ardésie, jalousée par le curé, peu écoutée des habitants, surveillée par l’administration, et en somme assez mal partie. Fausse route ! (DB, 11-12)
L’écart moral entre les deux personnages est maximal : aux maux initiaux (« une enfant malade, […] un martinet qui se casse l’aile »), qui font encore une fois mal à Davidée car elle ne peut les expliquer par la raison, la titulaire répond par l’exaltation d’un « joli doute universel » (DB, 12), sans prise sur le réel ; aux idéaux altruistes de l’adjointe, qui se portent vers les êtres en souffrance, la titulaire préfère les valeurs individualistes qui se matérialisent par l’attachement à des objets inanimés bien proprets : « Croyez-moi : vivez pour vous, faites le nécessaire pour avancer, ayez une bonne classe, bien tenue, des cahiers propres : le reste est du superflu dont personne ne vous saura gré » (DB, 12). Plus généralement, au mystère de la douleur, pris en charge par le christianisme – à travers, notamment, la doctrine de la souffrance expiatoire –, la vieille fille préfère le culte des apparences « honnêtes » : « Pas de zèle pour la correction du mal, un joli doute universel, qui vous fera bien voir » (DB, 12).
À l’individualisme des figures professorales féminines particulières67Mademoiselle Hacquin, maîtresse de Davidée à l’École normale, prône elle aussi une morale individualiste fondée sur « la dissociation de la métaphysique et de la moralité… » (DB, 106). À la suite de Durkheim, elle n’hésite pas à affirmer qu’« est moral dans une société, ce que cette société exige […]. La morale, dans son origine, constitue un phénomène social » (DB, 106). s’ajoute, au fil du récit, le sectarisme de l’institution éducative (masculine) dans son ensemble : la persécution subie par Davidée de la part de l’inspecteur primaire en témoigne. Alors qu’elle n’est pas croyante et n’apprécie guère le curé du village, la jeune fille est « dénoncée68DB, 189. La dénonciation anonyme subie par l’héroïne constitue, pour l’écrivain catholique, un procédé commode qui lui permet de souligner le caractère autoritaire et intolérant d’un régime républicain en contradiction avec les valeurs de neutralité religieuse dont il se réclame. En ce sens, il s’allie à d’autres motifs textuels comme le petit cahier vert dans lequel la jeune fille écrit ses pensées intimes. L’objet sémiotique, en effet, est choisi par l’auteur tant pour ses potentialités introspectives (il permet à Davidée d’approfondir son cheminement de foi) que pour accentuer la solitude de l’héroïne, qui ne peut se confier à personne dans un système éducatif « policier » qui rejette l’idée même de doute en matière religieuse. C’est également la fonction dévolue aux multiples lettres de soutien reçue par Davidée de la part de jeunes institutrices à la fin du roman : se suivant immédiatement dans le récit, les missives anonymes forment une mystérieuse chaîne de résistance catholique, révélant l’existence d’une communauté confessionnelle au féminin réagissant aux persécutions d’un État masculin : « J’ai été un moment séduite par l’idée d’une religion sans dogme, qui ne serait qu’un élan intime de notre âme vers Dieu. En réfléchissant, j’ai compris que ce serait là une anarchie […]. Connaissez-vous cette persécution de nous-mêmes par nous-mêmes, qui est si dure et lassante, quand on n’a pas de confidente ? Parmi mes compagnes de l’école normale, il y en a sûrement qui souffrent de la même crise que moi, et qui n’osent pas plus que moi l’avouer » (DB, 342-343). On peut donc avancer qu’à la communauté sororale des Amazones païennes se substitue, dans DB, une communauté féminine catholique (diffuse) de résistance aux valeurs républicaines laïcistes, accusées par l’auteur et son héroïne de favoriser l’avènement de « femmes nouvelles » aux traits parfois très proches de ceux des Amazones. » pour s’être entretenue quelques minutes avec le clerc lors de l’enterrement de sa chère Anna Le Floch. En tout état de cause, Bazin montre qu’il ne fait pas bon de douter au sein d’un régime radical en proie au culte des apparences : il faut nécessairement s’affirmer idéologiquement. C’est ainsi que, par l’élaboration d’un système des personnages fondé sur l’antinomie, dont l’invariabilité prépositionnelle69Davidée contre Renée Desforges ; Davidée contre mademoiselle Hacquin ; Davidée contre l’inspecteur primaire ; Davidée contre Phrosine… renforce la sensation de persécution religieuse subie par l’héroïne, l’écrivain catholique présente l’intolérance religieuse républicaine comme le fruit d’une éthique normative aux certitudes morales liberticides. Liberticides et, d’ailleurs, inefficaces, puisqu’elles ne permettent pas d’apporter une réponse consolatrice aux mystères de la souffrance et de la mort : c’est ce qu’exemplifie la figure pathétique (à outrance) d’Anna Le Floch tout au long du récit.
Fille de l’adultère Phrosine, qui représente la « femme nouvelle » sur le plan des mœurs, puisqu’elle vit ouvertement en union libre avec Maïeul, Anna est malade dès le début du roman. Fidèle à sa vision traditionaliste-chrétienne, René Bazin attribue la souffrance de la petite fille aux vices familiaux : « Toute apparence de vie avait quitté cette forme frêle et usée, payeuse innocente pour les vices de plusieurs, qui mourait de l’alcool bu par le père, et qui était le terme des débauches anciennes » (DB, 130). Victime innocente, Anna « paye » pour les fautes d’autrui, suivant le dogme de la Communion des saints, qui imprègne autant les œuvres de Bazin et de Bordeaux que celles de Bloy, de Huysmans et de Baumann. En particulier, ce sont les vices maternels qui fédèrent les critiques auctoriales et qui se traduisent au niveau diégétique par les multiples tentatives solidaristes (mais néanmoins infructueuses) de redressement moral de la famille Le Floch par Davidée ; car, en donnant à son héroïne le statut (politique) d’institutrice laïque qui n’est pas encore devenue catholique70Si, à la fin du roman, l’institutrice admet qu’elle se trouve sur la voie de la conversion, elle ne franchit jamais le pas : c’est une manière pour l’écrivain catholique d’éviter le didactisme (religieux) sans vergogne, dont sont imprégnées la plupart des œuvres d’Henry Bordeaux. , l’écrivain cherche à persuader le lecteur que la condamnation de l’union libre nécessite le dépassement des clivages traditionnels laïques/cléricaux, républicains/catholiques, croyance/incroyance : en ce qu’il perturbe l’ordre social, ce modèle de vie féminin nouveau doit être dénoncé collectivement. C’est pourquoi Bazin surcharge de pathos la figure de la petite Anna : le cumul émotionnel a pour fonction d’éloigner (moralement) la lectrice de la dangereuse femme nouvelle Phrosine qui, par son refus de régulariser son statut juridique et amoureux, provoque la mort de sa fille. De la même manière, la condamnation fictionnelle d’une mère « infanticide », qui préfère le plaisir individualiste de la chair à la guérison des douleurs corporelles et spirituelles filiales, peut également servir à prévenir la lectrice tentée par l’esprit féministe début-de-siècle d’adhérer aux positions laïco-républicaines de Phrosine relatives à la dissociation absolue de la morale et des mœurs.
Dans Davidée Birot, la condamnation de la femme nouvelle ne passe donc pas, comme dans La Peur de vivre, par la (sur)valorisation narrative de la femme traditionnelle par excellence : l’épouse-mère chrétienne. Car, chez Bazin, l’« Ève nouvelle » (Phrosine), liée au principe du Mal, appelle, par un mouvement de symétrie axiologique, une « nouvelle Ève » (Davidée) adossée au principe du Bien. Cependant, ces deux récits ont en commun une même répartition axiologique des personnages mise en valeur(s) à travers la « marialisation » du contre-modèle bienveillant. Mme Guibert, chez Henry Bordeaux, laisse ainsi la place à la virginale Davidée ; et, pour asseoir l’autorité morale de l’héroïne bazinienne, celle dont la très religieuse Mère Fête-Dieu dit que « le monde s’en va vers [elle] comme si [elle] ét[ait] le mois de mai ! » (DB, 346) (c’est-à-dire le mois de Marie) doit triompher de son antithèse maléfique. Ainsi, lorsqu’à la fin du roman la femme nouvelle Phrosine revoit une dernière fois le fendeur d’ardoise, désormais amoureux de Davidée, elle essaie par tous les moyens de le tenter (au sens biblique du terme) : « Je savais que tu viendrais. Viens, mon grand ! On était heureux autrefois. Viens ! » (DB, 35671« Elle le regarda si doux, qu’il eut le cœur tout chaviré, et elle ouvrait la barrière, lentement, pour qu’il ne vît que ses yeux et n’entendît que les mots qui tiennent captif » (DB, 356). ). Humble et virginale au contraire, incarnation textuelle de « la plus jeune fille des jeunes filles72Colette Yver, Le Mois de Marie, op. cit., p. 12. », Davidée, « aussi blanche que les maisons peintes de Blandes » (DB, 358), n’a qu’à attendre pour être choisie par le héros. Doublure de la lectrice, celle qui « ne se faisait point tentatrice » (DB, 358) est ainsi chargée par l’auteur de modeler par le Bien la vie des liseuses ; car, comme le rappelle avec justesse Colette Yver, « depuis qu’est établi dans le Christianisme le culte de Marie, le grand souci fut moins de chanter ses louanges que de l’imiter73Ibid., p. 24. ».
Les valeurs catholiques face aux traditions nouvelles
En régime traditionaliste catholique, la « femme nouvelle », en ce qu’elle permet de narrativiser sous de multiples formes le dilemme moral engendré par le conflit entre tradition et modernité, constitue un agent indispensable du personnel romanesque. Difficilement acceptée par les conservateurs de tous bords, elle devient, au tournant des XIXe et XXe siècles, une figure-repoussoir idéale pour les milieux littéraires catholiques : elle a en effet l’avantage insigne de donner au roman une connotation d’engagement social sur le triple plan de l’éthique, de l’esthétique et de l’idéologie. Notons cependant que les écrivains catholiques font toujours apparaître ces incarnations du féminin nouveau en second plan au niveau actantiel et moral : ce faisant, ils suivent à la lettre les consignes ecclésiales qui rappellent la nécessité de la présence intradiégétique d’héroïnes exemplaires de premier plan. En effet, puisque l’éducation morale, en matière de lecture, réclame des modèles tangibles censés éveiller le sens social des lectrices, les figures imaginaires créées par les romanciers doivent être soutenues par une rhétorique de l’édification. Appelant à la « monstration de figures exemplaires du courage, de la tempérance ou de la force d’âme […] destinée à affermir chez les lecteurs les mêmes vertus74Carole Talon-Hugon, « L’édification en littérature : finalités éthiques et impératifs artistiques », dans Mathilde Bertrand et Paolo Tortonese (dir.), Le Bien : édification, exemple et scandale dans le roman du XIXe siècle, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2017, p. 37. », les évêques louent les romanciers qui offrent un inventaire d’enseignements moraux et civiques et mettent en valeur, par le biais des personnages féminins et des valeurs qui les portent, « la thèse, la pensée [et] l’idéal75Lettre pastorale de Mgr l’évêque de Gap sur le danger des mauvaises lectures et mandement pour le saint temps de carême de l’année 1899, Gap, J.-C. Richaud, 1899, p. 20. » définis, au sein de la société, par l’idéologie catholique autorisée : car, rappelons-le, c’est avant tout « l’approbation du peuple chrétien76Lettre pastorale de Mgr l’évêque de Pamiers sur les dangers et les avantages de la lecture et mandement pour le carême de 1895, Foix, Imprimerie typographique de J. Francal, 1895, p. 18. », elle-même conditionnée par l’approbation ecclésiale, qui domine le pouvoir-lire des fidèles, et en particulier du fragile lectorat féminin.
De fait, aux figures féminines émancipées, qui essaient de déraciner le héros, répondent les âmes obéissantes, sources d’apaisement et vectrices de réenracinement77Alors que Phrosine tente d’éloigner Maïeul de ses terres, Davidée au contraire le réenracine tant géographiquement (« – Louez le pavillon de la Gravelle, Maïeul Jacquet » : DB, 359) que moralement (par le sacrement de mariage). De manière générale, le corpus traditionaliste regorge de figures féminines tentatrices. Ainsi, par exemple, le jeune héros de La Maison (1913) s’écrie-t-il : « Elle [Nazzarena] me représentait la vie libre, comme j’étais l’esclavage » (Paris, Plon-Nourrit, 1913, p. 308). . Pour éviter de « produire des régiments d’Amazones78Émile Keller, cité dans Rebecca Rogers, op. cit., p. 291. » à l’« âme errante, inquiète ou sceptique79Henry Bordeaux, cité dans Eugène Gilbert, En marge de quelques pages : impressions de lecture, Paris, E. Plon, 1900, p. 246. », il convient donc de construire un univers fictionnel sur le mythe d’Antée, c’est-à-dire fondé sur le culte du sol ancestral. Plus généralement, au mythe des Amazones, le roman traditionaliste catholique répond par l’idéal claustral, où le gynécée est soumis à l’Homme-Dieu80Voir en particulier L’Isolée (Paris, Calmann-Lévy, 1905) de René Bazin. , par l’idéal familial (c’est le fameux « régime cellulaire » dénoncé par Gide), ou encore par le mythe de Jeanne d’Arc, Amazone catholique qui, parce qu’elle « a montré si victorieusement ce que pouvait une volonté de femme pour la défense du sol natal81Paul Lacour, Les Amazones, Paris, Perrin et Cie, 1901, p. I. « […] sa pure figure [celle de Jeanne d’Arc], symbole du patriotisme, simple et grave comme lui, […] forc[e] notre admiration et notre respect, […] [son] exceptionnel courage a[yant] été mis au service de la Patrie, de l’Amour, [et] de Dieu » (ibid., p. II). », obtient d’être canonisée au cours du mois de Marie 1920.
Pour citer cette page
Charles Plet, « La “femme nouvelle” : contre-modèle pour le roman traditionaliste catholique », MuseMedusa, no 7, 2019, <> (Page consultée le setlocale (LC_TIME, "fr_CA.UTF-8"); print strftime ( "%d %B %Y"); ?>).