Fanny Blin
Université Bordeaux Montaigne
Fanny Blin enseigne à l’Université Bordeaux Montaigne et rédige une thèse sur les réécritures d’Antigone dans le théâtre espagnol écrit en castillan, catalan et galicien entre la guerre civile et la Transition. Ancienne élève de l’ENS de Lyon et agrégée d’espagnol, elle est auteure de plusieurs articles sur les Antigones espagnoles, comme « Mises en scène compensatrices de la guerre “fratricide” : in-versions thérapeutiques d’un mythe » (à paraître en février 2016 dans le numéro intitulé La guerre d’Espagne, entre vide et trop-plein. Répercussions, représentations, et reconstructions d’un conflit marqué par l’excès. (1936-2014), de la revue Arts et Savoirs, n° 6), et d’un ouvrage sur l’actrice Lola Membrives (Ed. Antígona/RESAD).
Antigone, emblème du devoir de mémoire, a hanté le théâtre espagnol après le traumatisme de la guerre civile et des cadavres laissés sans sépulture. La politique asymétrique menée par le Régime franquiste en matière de lieux de mémoire a poussé des dramaturges à mettre en scène le geste interdit. Non seulement Antigone enterre son frère sous les yeux du public, remédiant par là à l’invisibilité de cet acte (plus encore qu’à son interdiction), mais elle crée un tombeau théâtral, éternellement reproductible. Ces réécritures donnent également une place et une voix aux fantômes de la guerre. Cet article montre les stratégies compensatoires mises en œuvre et analyse la façon dont les morts envahissent le palais de Créon pour imposer leur présence dans l’arène politique. Ainsi, il s’agit d’analyser pourquoi les multiples allégories de la mort et les espaces funèbres se trouvent placés au cœur de trois dimensions : la scène, l’action et le discours dramatique.
Antigone’s presence in Spanish theater after The Civil War shows that the political dimension of the myth is used to express and embody the problem of the unburied dead. Indeed, the corpses abandoned without inhumation haunt the stages of many contemporary rewritings of this tragedy. In order to adjust the invisibility of Polynices’ body, some playwrights chose to represent the burial. Antigone’s function is then to accomplish the “duty of sepulture” for those who weren’t allowed to accomplish it themselves. With this scene, she therefore creates a metaphorical gravestone for all the unburied dead. These plays provide a place within public discourse to remember the defeated republicans, considered as antipatriots by Franco’s regime. Antigone scrambles the separation between the space of the dead and the space of the vanquishers. She imposes the memory of the defeated, made invisible by the tyrant who wants to erase them from national memory. This paper analyses the omnipresence of ghosts and shadows within the spaces of Power. It also emphasizes the peculiar scenography that Spanish playwrights implemented to offset unfair funeral scenes. Such an inequity is balanced, and creates some atonement, which is only possible through dramatization of history.
Antigone. Encore une histoire de sépulture.1 André Degaine, Histoire du théâtre dessinée, Paris, A.-G. Nizet, 1992, p. 34.
Après la guerre civile, les dramaturges espagnols n’ont cessé de convoquer Antigone sur les planches, hantés par l’image traumatique des cadavres laissés sans sépulture digne2 Ces victimes de la guerre et des premières années du franquisme sont communément appelés « disparus » ce qui accentue leur invisibilité symbolique. Or il s’agit d’un très grand nombre de personnes : l’enquête ouverte en 2008 par le célèbre juge Baltasar Garzón recensait 114 266 disparus. Bien que le phénomène se soit prolongé jusqu’à aujourd’hui, ses enjeux sont de nature différente. Ainsi, cet article se centre sur la mise en scène de l’histoire par la génération qui a vécu les événements évoqués, durant la première période de la dictature, et qui a réécrit cette tragédie entre 1939 et 1989.
Cet article s’appuie d’une part sur deux pièces écrites peu après la guerre d’Espagne qui témoignent de deux lectures opposées. Els camins de Antígona, écrite en exil en 1940 par le catalan Ambrosi Carrión, donne une place centrale aux fantômes, tandis que José María Pemán, figure du franquisme, compose en 1945 une Antígona qui célèbre la victoire militaire. D’autre part, cette réflexion est centrée sur des pièces ultérieures, contestataires : Ahora en Tebas, de Manuel Bayo, mise en scène par José Sanchis Sinisterra en 1963 dans le cadre du théâtre universitaire4 Il s’agissait d’un théâtre critique, dissident, mais soumis à un contrôle de la part du Régime. Cette pièce n’a été éditée et mise en scène en Espagne que très récemment, par Ignacio García au Centro Dramático Nacional, en 2014, ce qui illustre l’invisibilisation (néologisme fondé sur le terme espagnol « invisibilizar ») durable des artistes républicains qui ont donné une place aux défunts. Au-delà de la complexité des postures idéologiques adoptées par les auteurs, il s’agit de distinguer en particulier la pièce de José María Pemán, qui vise clairement à conférer un regard positif à la pacification apportée par le tyran, contrairement aux autres dramaturges.
Étéocle y symbolise le camp des nationalistes : érigé en héros, il prend toute la place et reçoit les honneurs funèbres officiels, à la manière des figures de martyrs mythiques construites par l’idéologie franquiste7 À l’image de José Antonio Primo de Rivera, figure mythifiée et considérée comme martyr par les franquistes. Plus de 150 fosses ont été localisées et exhumées ces dernières années grâce au travail mené par la Asociación para la Recuperación de la Memoria Histórica. L’expression est régulièrement employée par les chercheurs mais aussi dans la presse, comme en témoigne cet article qui évoque l’effacement progressif de la mémoire, qui va de pair avec les décès des victimes de la guerre, considérés comme de nouveaux défunts sans place : « Son las víctimas de una Guerra Civil que parece diluirse en el imaginario colectivo de la sociedad española tras años de silencio y políticas de desmemoria. A lo largo de la realización del proyecto han fallecido una decena de sus protagonistas. Por ello, el documental es también el relato de una España que muere en el más profundo de los olvidos. » Le titre de l’article met également en avant l’invisibilité subie par ces victimes : « Humillados, derrotados e invisibles », Público, 25 mars 2013. Cf « La desmemoria como clave de la Transición política española », discours prononcé par le professeur Gerardo Ancarola, à Buenos Aires, le 30 décembre 2004. Sa construction fut ordonnée par Franco pour honorer la mémoire des « héros de la guerre morts en défendant leur patrie » – c’est-à-dire les défunts du camp nationaliste. Le monument est emblématique de la politique déséquilibrée en matière de « place des morts ». À savoir les opposants, mais aussi les minorités culturelles pour lesquelles Antigone devient un emblème.
Remédier à l’absence de sépulture : Antigone ou le tombeau littéraire
Dans Antigone et le devoir de sépulture, Gérald Hess distingue deux catégories d’actions : celles qui relèvent du langage (performatives) et celles qui n’en relèvent pas, dont deux actes majeurs : l’enterrement de Polynice par Antigone et son suicide, « deux gestes proprement indicibles par le biais desquels l’héroïne exprime son rapport à la mort.13 Gérald Hess, « Antigone et la sépulture : au-delà de l’éthique », dans Muriel Gilbert (dir.), Antigone et le devoir de sépulture : actes du colloque international de l’Université de Lausanne, Genève, Labor et Fides, 2005, p. 125. Idem. Carlos de la Rica, La razón de Antígona, Tarancón, El Toro de Barro, 1980, p. 37. José María Pemán, Antígona, adaptación muy libre de la tragedia de Sófocles, Madrid, Arbor, 1946. Au moment où elle vient d’offrir à son frère Polynice la sépulture interdite. Antigone s’explique aux soldats en ces termes : « ¡Faltaban esas rosas ! Ya está el rito cumplido enteramente, soldados… », José María Pemán, op. cit., p. 124. C’est dans cette mesure que la pièce constitue un contre-exemple pertinent pour cette démonstration.
Il est donc patent que l’ostentation des cadavres pose plusieurs types de problèmes, de la bienséance à la manipulation… Dans la version de Carlos de la Rica, Créon ordonne que le corps d’Antigone soit exposé dans une salle du palais20 Carlos de la Rica, op. cit.., p. 81.
L’enjeu de la visibilité de l’enterrement
Cependant certains dramaturges espagnols ont franchi le pas : ils ont fait pénétrer le corps renié dans l’espace sacré de la scène en suggérant de soumettre à la vue du public l’épisode clé de la sépulture. Une mise en scène contemporaine21 Celle d’Ignacio García, en 2014. Il n’est pas possible de commenter des mises en scènes antérieures de cette œuvre puisqu’il s’agissait du premier montage officiel. José Bergamín, La sangre de Antígona, dans María Teresa Santa-María Fernández, El teatro en el exilio de José Bergamín, thèse de doctorat, Presses universitaires de l’Universitat Autònoma de Barcelona, 2001, p. 395. Un exemple dans la pièce de Manuel Bayo illustre ce point : Jocaste, après avoir découvert la véritable identité d’Œdipe, lui parle mais sans apparaître sur scène. L’annotation « Yocasta, (voz de) » indique que seule sa voix parvient aux oreilles du public. Cette technique d’invisibilité du personnage est d’autant plus intéressante qu’elle dit à Œdipe « no puedo mirarte ». Or le spectateur, lui, est bien forcé de regarder Œdipe, d’assister à cette scène de révélation, à la violence de cette anagnorèse, qui débouchera sur son aveuglement physique. La vue est donc un élément central, reflété par ce qui est montré ou caché sur scène. (Manuel Bayo, Ahora en Tebas, manuscrit inédit, p. 20.) Ibid., p. 398-399. María Zambrano, La tumba de Antígona, Madrid, Cátedra, 2012, p. 192. « Síguenos, Antígona./¿A dónde queréis que os siga ? /A donde nos han mandado llevarte./¿Con los fantasmas ? ¿Dejaré de hablar con las sombras de los muertos, para empezar a hablar con los fantasmas de los vivos ?/¿Somos nosotros sombras o fantasmas ? /Vosotros sois muertos. Todo el que obedece es un muerto. » Ibid., p. 398. Une réplique d’Antigone souligne cette similitude : « ¿No es justo que volvais a la tierra ? », ibid., p. 392. La notion de justice quant au retour à la terre vaut autant pour l’exil que pour la sépulture. Cf María Teresa Santa-María Fernández, op. cit., p. 123 : « resultan numerosas las referencias “mortales” en sus obras, donde […] aparecen entierros, burlas a la muerte, o incluso su misma representación enmascarada. » Cette hypothèse a déjà été avancée dans un précédent article : « [dans la tragédie] cet espace n’est qu’évoqué, on voit les personnages en revenir depuis les coulisses, qui semblent représenter un espace sombre et inaccessible. […] José Bergamín opte quant à lui pour un choix différent de représentation : il met en scène un dialogue que les “ombres” de Polynice et d’Étéocle peuvent engager avec leur sœur. […] Bergamín substitue là le dramatique à l’épique. […] Les Espagnols remédient donc à l’invisibilité du corps de Polynice, ce qui revient à réhabiliter son action. » cf. Fanny Blin, « Antigone ou les masques de la marginalité au cœur du pouvoir », Les chantiers de la création, no 7, 2014, mis en ligne sur María Zambrano, op. cit. María Xosé Queizán, Realicismo politico e literario. Conciliar as ciencias e as humanidades, Vigo, Xerais, 2004, p. 32.
Placer l’œil dans la tombe
Le caveau est « la place d’Antigone », comme le lui assure son oncle dans la pièce de Xosé María Rodríguez Pampín : « ANTIGONA : E qué farás conmigo ?/Creón : Pecharte nanha cova. É o teu sitio.32 Créon s’exclame : « Je t’enfermerai dans un tombeau. C’est ta place. » (Xosé María Rodríguez Pampín, op. cit., p. 490. Nous traduisons.) María Zambrano, op. cit.
Dans ces pièces, la place qu’ils occupent montre que les morts ne sont pas des disparus. Cette notion de « place des morts », liée à l’ouvrage de Patrick Baudry34 Patrick Baudry, La place des morts. Enjeux et rites, Paris, Armand Colin, coll. « Chemins de traverse », 1999. Ambrosi Carrión, Els camins de Antígona, manuscrit, 1940. Ibid., p. 50. Ibid., p. 67. Idem. « La place de la morte » (ibid., p. 25. Nous traduisons.). Patrick Baudry, dans Muriel Gilbert (dir.), Antigone ou le devoir de sépulture, Genève, Labor et Fides, 2005, p. 181. Ambrosi Carrión, op. cit., p. 57.
Mi sueño os ha vuelto sombra. Ahora oigo vuestras voces en mi corazón, diciéndome que no estáis muertos ; porque habéis matado. Matasteis para no morir. […] Pero yo estaba entre vosotros, invisible, y vuestro hierro fratricida fue a mí a la que hirió de muerte.42
José Bergamín, op. cit., p. 393.
Omniprésence des absents, incarnation des invisibles
Le discours d’Antigone ouvre un espace qui déconstruit les bornes imposées par le discours majoritaire. Elle n’accepte pas que certains soient effacés de la mémoire collective, selon le critère vainqueurs/vaincus, qui finit par cristalliser les identités dans l’Espagne de Franco. Afin de remédier à l’effacement des défunts, Xosé María Rodríguez Pampín modifie le dramatis personae de la tragédie en y intégrant « tous les morts de la terre, qui sont invisibles43 Xosé María Rodríguez Pampín, Creón… Creón, dans Grial, no 50, 1975, p. 475-492. « Invitados á festa : Músico, Antígona, Ismene, Creón, […] e tódolos mortos da terra, que non se ven », p. 475.
Intrusion des fantômes dans l’espace politique
Quelle place pour les morts dans la sphère du pouvoir ? La mise en scène prévue par Manuel Bayo et José Sanchis Sinisterra à l’Université de Valence en 1963 établit le lien entre place des morts et place publique, lieu du discours politique. Leur Antigone prononce une déclaration de sécession depuis les marges de la ville (las afueras) là où évoluent les personnages populaires, là où sont reléguées les dépouilles. Or la lumière se centre soudain sur elle, ce qui est très symbolique : « Luz sobre Antígona, sola, donde antes estaban los cadáveres.44 Carlos De la Rica, op. cit., p. 36. « Lumière sur Antigone, seule, là où se trouvaient les cadavres. » (Nous traduisons.) José Martín Elizondo, Antígona entre muros, dans Primer Acto, no 329, juillet-août 2009, p. 179.
Morte que non é morte, Creonte ! Morte que non é tal, senón perduración infinita, celme de revolución ! […] O mondo saberá de nós polo que padecemos ! Mais tamén saberá que na queixume xermola o estoupón que ha liberar a Tebas dos tiranos ! […] Os mortos claman ! Agora e sempre os mortos claman e han clamar até a disolución di podre arcaico ! Viva a disolución do podre arcaico ! Vivan os mortos, que reinan nos vivos !46
Manuel Lourenzo, Traxicomedia do vento de Tebas namorado dunha forca, Sada, La Corogne, Éd. do Castro, 1981, p. 85.
Cette réplique revendique la place des morts dans le présent à travers la mémoire, et le fait que leur sort puisse influencer le cours de l’Histoire à travers des figures libres comme Antigone. Dans la réécriture de Manuel Lourenzo, des silhouettes masquées envahissent la scène, ce qui manifeste physiquement leur « invisibilité ». L’une des « ombres encapuchonnées » explique qu’elle cherche son frère et interpelle le personnage de Tiruleque, en demandant où a été déposé le cadavre de Polynice :
BOZO : E será este o eirado onde enterraron o seu corpo ? Ti, que pintas a face de sangue, di : pousaron en sagrado o corpo de Polinice ?
TIRULEQUE : (…) Non sei quen és (…) vai-te, sombra !
BOZO : Busco ao meu irmán !47
Ibid., p. 77.
Ce passage met en scène le déni : Tiruleque rejette cette ombre (qui n’est autre qu’Antigone déguisée), prétendant ne pas savoir qui elle est, ce qui évoque l’oubli pratiqué par le pouvoir. Lourenzo crée donc une scène où les fantômes occupent tout l’espace public, manifestent en procession, afin de rappeler au tyran leur existence et leur besoin d’enterrer leur(s) frère(s). Le lien établi ici encore entre invisibilité, pouvoir et mémoire attire l’attention : Tiruleque se défend en invoquant son invisibilité, métaphore de l’impunité du pouvoir : « Non gardas que son invisíbel ?48 Idem. Traduction de « Non gardas que son invisíbel ? » (Idem.) « Bozo : Busco ao meu irmán ! » (ibid., p. 77.) Référence aux trois catégories définies dans l’introduction.
Antigone, vecteur du dialogue avec les défunts
Hantée par ses fantômes, Antigone est toujours entre-deux : entre son sang royal et ses convictions qui l’opposent au tyran, entre son désir de vivre et sa décision de mourir pour protéger la dignité et le souvenir de Polynice, son identité se construit dans le tiraillement. De la même manière, elle se situe à la frontière entre le monde des vivants et le royaume des morts (métaphore de l’Espagne franquiste), comme les autres personnages ne cessent de le lui rappeler. Le chœur de la pièce de Bergamín chante : « ¡Mirad, mirad a Antígona !/Como un fantasma entre los vivos./Como una sombra entre los muertos./No es como nosotros/Ni como ellos/No la quiere el Infierno/Y la rechaza el Cielo/¡Mirad, mirad a Antígona !52 José Bergamín, op. cit., p. 401. Alfonso Jiménez Romero, « Oración de Antígona », dans Oratorio. Oración a los países que destruyen el mundo con las guerras, in Primer Acto, no 109, 1969, p. 54-61. María José Ragué Arias, « Del mito contra la dictadura, al mito que denuncia la violencia y la guerra », Assaig de Teatre : Revista de l’associació d’investigació i experimentació teatral, no 44, 2004, p. 15. José Bergamín, op. cit., p. 392. Ibid., p. 395.
Es hora de que esos huesos mal enterrados que siguen ahí pidiéndonos respeto tengan descanso y nos lo den así a todos. Hora de enterrar piadosamente el cuerpo del hermano, de reconciliarnos con nuestros muertos.57
Suso de Toro, « La tumba del hermano », El País, 29 avril 2006, « Il est grand temps que ces os mal enterrés qui sont toujours là, à nous réclamer le respect, trouvent le repos et qu’ainsi ils nous l’accordent à nous tous. Il est temps d’enterrer pieusement le corps du frère, et de nous réconcilier avec nos morts. » (Nous traduisons.)
Antigone, on le comprend, est comme un fantôme qui réclame réparation : elle ne pourra trouver le repos que lorsque justice sera faite pour les disparus. « Si sangre hubo y corrió, sigue la historia deteniendo el tiempo, enredándolo, condenándolo. Por eso no me muero, no me puedo morir hasta que no se me dé la razón de esta sangre y se vaya la historia, dejando vivir la vida.58 María Zambrano, op. cit., p. 186. Le début de cette citation du monologue d’Antigone dans l’œuvre de María Zambrano signifie : « Si du sang a été versé, l’histoire continue mais le temps s’arrête. » (Idem.) Figure d’héritière de la culpabilité, de garante de la mémoire des défunts de sa famille, Antigone porte de lourds fardeaux et incarne également la déraison, comme si ce poids la condamnait à la folie, pour échapper à une réalité trop ignoble. Lacan a proposé une lecture de la posture de victime d’Antigone, actrice de ce processus qui la fige comme martyre. Voir Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre VII, L’éthique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1986, p. 208-209. Ibid., p. 201.
En définitive, cette réflexion a mis en évidence les dispositifs qui comblent l’absence de place pour les défunts appartenant au camp des vaincus. Dans l’hypotexte sophocléen, la tragédie reposait sur l’opposition entre deux types de nécessités : « Comme le montre Paul Ricœur, il ne fait aucun doute que la tragédie de Sophocle confronte les protagonistes à un conflit entre deux lois antagonistes : le devoir de sépulture opposé au respect de la loi de la cité.62 Gérald Hess, loc. cit., p. 130. La place des morts de la guerre puis de la dictature est un des enjeux qui ont pesé sur la démocratisation et dans l’actualité. En témoignent les débats houleux autour de la Ley de memoria histórica de 2007, pour la reconnaissance des victimes, qui a rompu avec l’amnistie qui a scellé le compromis de la Transition. Cette évolution est synthétisée dans l’article de Danielle Rozenberg, « La mémoire du franquisme dans la construction de l’Espagne démocratique », Témoigner. Entre histoire et mémoire, no 117, 2014, p. 56-66.
Pour citer cette page
Fanny Blin, « Donner une place aux fantômes de la guerre : le rôle d’Antigone dans le théâtre espagnol entre 1939 et 1989 », MuseMedusa, no 4, 2016, <> (Page consultée le setlocale (LC_TIME, "fr_CA.UTF-8"); print strftime ( "%d %B %Y"); ?>).
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