Catherine Mavrikakis et Andrea Oberhuber
Université de Montréal
Andrea Oberhuber est professeure à l’Université de Montréal où elle enseigne les littératures française et québécoise, notamment l’écriture des femmes (XIXe-XXIe siècles), les avant-gardes historiques et les rapports texte/image (littérature et photographie). Elle a dirigé, entre autres, le collectif Claude Cahun : contexte, postures, filiation. Pour une esthétique de l’entre-deux (2007) ainsi que les dossiers « Voir le texte, lire l’image » (Dalhousie French Studies, no 89, 2009) et « À belles mains. Livre surréaliste, livre d’artiste » (Mélusine (no 32, 2012). Son essai Corps de papier. Résonances est paru en octobre 2012 chez Nota bene.
Catherine Mavrikakis est professeure de littérature et de création à l’Université de Montréal. Elle est aussi romancière et a publié cinq romans, dont Le ciel de Bay city et Les derniers jours de Smokey Nelson aux éditions Héliotrope (Québec) et aux Éditions Sabine Wespieser (France).
En 2014, sur la radio de France Culture, la journaliste et auteure Laure Adler présentait une série d’émissions consacrée à Marguerite Duras, dont l’une était intitulée « La sorcière ». Laure Adler soulignait ainsi que c’est sous le signe de l’envoûtement, du charme, du pouvoir et du contre-pouvoir que l’écriture durassienne s’est souvent trouvée placée. Il serait question pour la critique littéraire, toujours selon Adler, de s’arracher aux pouvoirs maléfiques de fascination qu’exerce l’œuvre de cette écrivaine, et pour les lecteurs de s’abandonner aux sortilèges que constituent les livres de Duras et son style singulier, incantatoire.
Un numéro sur les sorcières et les sorciers de la revue MuseMedusa ne pouvait que convoquer en nous la figure et l’image, la voix et l’écriture de Duras. Ce genre de réflexions ne pouvait que faire entendre les échos tonitruants des sorts et les contre-sorts d’Antonin Artaud. En effet, l’écrivain en désignant des personnes réelles comme destinataires de ses mots, destinait son travail visuel et écrit à produire un effet immédiat sur une personne réelle. La littérature envoûte ou encore elle réveille les consciences, mais ses pouvoirs, pour beaucoup d’entre nous, bien que flous, restent très réels. Peut-être parce qu’il arrive que la littérature jette un sortilège sur cette réalité que nous croyons si réelle…
Magie blanche ou magie noire, la littérature dans la modernité, malgré les progrès de la Raison, ne peut échapper à un imaginaire de la sorcellerie que l’on repère très clairement dans les valeurs surréalistes, mais qui est déjà là chez Baudelaire quand il écrit : « Manier savamment une langue, c’est pratiquer une sorte de sorcellerie évocatoire ». Et l’idée revient chez Rimbaud, ensorceleur des mots par excellence, sous forme d’« Alchimie du verbe » où il est question de « tous les enchantements », de « vertiges », de « supplice » et d’un « charme [qui] a pris âme et corps ».
La langue littéraire, notamment celle poétique, est très souvent vue à travers son aspect performatif. Par ses abracadabras, elle fait apparaître et disparaître des mondes et des êtres, des maux et des mots.
Le présent dossier de MuseMedusa, dans son volet « Création », devait donc donner naissance à des textes qui incarnent ces liens entre la littérature et la sorcellerie, tant par les thèmes abordés que par l’écriture. La marginalité, la mise au ban par soi ou par les autres mises en scène dans les œuvres de fiction semblent venir confirmer un pouvoir clandestin qu’Alex Gagnon, responsable de ce numéro, a souligné dans son appel d’articles. Penser la figure de la sorcière et, dans une moindre mesure celle du sorcier, de nos jours, c’est réfléchir à une diversité de modes de présence au monde peu familières ou peu évidentes. C’est se pencher sur les apparitions et les disparations de grandes ou de toutes-petites puissances hors-la-loi, alors que tout semble aller vers une homogénéité des instances de pouvoir, vers le consensus sur ce qui est blanc et ce qui est noir sans tenir compte des zones grises, crépusculaires, ni des espaces ténébreux, intermédiaires. C’est multiplier les lieux de résistance dans un chaos d’où tout peut surgir.
Dans les années 1970, lors des nombreuses manifestations, les féministes avaient pour cri de ralliement : « Tremblez, Tremblez ! Les sorcières sont de retour ! » Loin d’être une menace, ces mots qui avaient et ont pour but de faire vaciller l’ordre établi, nous nous les lançons aujourd’hui, autrement, tout en les reprenant, grâce à ce numéro. Ils se veulent un contre-sort à la marche ensorcelée des pouvoirs vers un futur qui se voudrait sans opposition ni révolte.
Oui, les sorcières et les sorciers sont de retour ! et la littérature est là pour leur offrir un lieu où les accueillir.
Terminons ces brèves réflexions sur les « figures d’un pouvoir clandestin » en rappelant que les seize textes de création publiés dans le présent numéro ont été suivis par des lectrices et des lecteurs qui les ont menés vers leur forme définitive et qui leur ont révélé leur propre pouvoir d’enchantement ou de désenchantement. Que soient ici remerciés Roxane Desjardins, Louise Dupré, Geneviève Robichaud et Jean-Michel Théroux sans qui cette partie « Créations » de la revue n’aurait pas eu lieu. Tous les quatre ont permis aux fictions de se rapprocher davantage de leur idéal et de faire advenir toute leur puissance. Encore merci !
Nous avons également la chance d’accueillir, parmi les « Sorcières et sorciers », le travail visuel de Jacqueline de Jong et celui de Patrick Cady qui nous incitent à penser que c’est l’art thaumaturge dans toutes ses manifestations esthétiques devant lequel il faut réapprendre à trembler.
Pour citer cette page
Catherine Mavrikakis et Andrea Oberhuber, « Sorts et sortilèges de l’art », MuseMedusa, no 5, 2017, <> (Page consultée le setlocale (LC_TIME, "fr_CA.UTF-8"); print strftime ( "%d %B %Y"); ?>).
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